Titre
Les mots pour dire DieuAuteur
Claudio Monge et Denis GrilType
livreEditeur
Publications de la Conférence des évêques de France/Service national pour les relations avec les musulmans (SNRM), sept. 2022Collection
Collection : Groupe Théologie en dialogue ; hors-série n°2Nombre de pages
157 p.Prix
10 €Date de publication
23 décembre 2022Les mots pour dire Dieu.
Le groupe Théologie en dialogue, créé en 2017 par le père Vincent Feroldi, alors directeur du Service national pour les relations avec les musulmans (SNRM) de la Conférence des évêques de France, est comme un laboratoire du dialogue théologique entre chrétiens et musulmans. Hommes et femmes, chrétiens et musulmans, ses membres ont déjà été à l’origine d’une première publication en 20201 où le dominicain Adrien Candiard (membre de l’Idéo du Caire) et le sociologue musulman Omero Marongiu-Perria ont confronté leur rapport à la Vérité. Ce premier ouvrage témoignait de la possibilité d’un dialogue théologique authentique, profond et respectueux, où chacun recherche dans sa propre théologie la place qui doit être faite à “l’autre”. Dans la conviction pour le chrétien, comme l’exprimait alors Adrien Candiard, de parvenir dans cette recherche “à voir enfin ce qui, dans le visage du Christ, m’est encore invisible et que seuls des musulmans sauront me faire voir”2. Que ce dialogue dans la vérité soit possible et fructueux, ce second Cahier en témoigne, qui est plus fourni encore que le premier.
Il réunit cette fois-ci Claudio Monge, dominicain italien, théologien du dialogue interreligieux et membre de l’Idéo, vivant à Istanbul3 où il dirige l’institut DoSt-I4, et Denis Gril, un intellectuel français de confession musulmane, professeur émérite à l’université d’Aix-Marseille et spécialiste du soufisme. “Comment dire Dieu ?”, telle est la question à laquelle ils s’efforcent de répondre, successivement et ensemble.
Il faut évoquer la structure de cette publication, avant d’en présenter le contenu. L’ouvrage comporte un liminaire, où le groupe de théologiens rappelle l’objet de son travail : “penser ensemble le dialogue à partir de nos traditions respectives, en habitant sereinement nos différences et en se confrontant à celles-ci”, pour contribuer à vivre ensemble dans le monde qui est le nôtre et y “construire l’humain”.
Puis vient une introduction à deux voix, où les deux auteurs expriment ensemble leur conviction que Dieu se révèle à nous, qu’il entre en communication avec les êtres humains en suscitant une réponse. Et où ils reconnaissent d’emblée que cette Révélation comporte, dans chaque Tradition, un chemin différent. Elle culmine, pour les chrétiens, dans Jésus Christ, parole de Dieu qui prend chair. Et pour les musulmans, dans la Parole divine reçue et transmise intégralement par le Prophète, qui s’en fait l’interprète par sa vie.
Les “mots pour dire Dieu” vont donc différer, et s’ouvrent alors deux grandes parties où chacun des auteurs s’exprimera à son tour. Claudio Monge expose “Comment dire Dieu dans la tradition chrétienne” (pp. 11 à 47), puis c’est Denis Gril avec “Quel langage pour dire Dieu en islam” (pp. 51 à 127), selon le Coran, et selon le Prophète. Les deux auteurs constatent ensuite “comment les mots pour dire Dieu peuvent devenir le lieu d’un vrai dialogue” en un échange final et une conclusion commune (pp. 136 à 157).
De même que la Révélation prend des voies différentes dans chacune des deux Traditions, chaque auteur choisit lui-même un mode fort différent d’exposé des “mots pour dire Dieu”. Claudio Monge fait appel aux écrits du Nouveau Testament, aux travaux de théologiens chrétiens et aux textes essentiels de l’Eglise catholique (comme la Constitution Dei Verbum du concile Vatican II, en 19655) pour exposer que “le Dieu des chrétiens est un Dieu qui écrit une Histoire plutôt qu’un Livre” (p.19) et que “dans la singularité de la vie même du Christ s’annonce Dieu” (p .24). La Parole de Dieu est donc une mise en relation, et “être témoin”, ce n’est pas tant trouver les bons mots pour dire le Christ, que suivre son chemin, et préparer ainsi le chemin à ce Dieu qui veut se donner à l’humanité. Claudio Monge distingue avec netteté entre le regard que le chrétien porte sur Jésus, “fils de Dieu” et la figure de Jésus, fils de Marie, dans l’islam. Pour le chrétien écrit-il “Dieu n’est pas un solitaire” et sa toute-puissance se déploie dans le partage. Et c’est dans la mort et la résurrection de Jésus que culmine la révélation messianique et ce à quoi tout homme est appelé, devenir fils du Père, et en relation avec l’autre, son frère (p.34).
Dans son propre exposé, Denis Gril se concentre sur ce que le Coran, Parole révélée au Prophète, dit de Dieu, et sur les propos du Prophète sur son Seigneur, rapportés par la Sunna, l’histoire de sa vie. Dieu est un, Dieu n’a pas engendré ; Jésus fils de Marie est la “parole de la vérité”, mais cette Parole qui procède de Dieu n’est pas Dieu lui-même (p.58). Ce Dieu unique et transcendant est aussi un Dieu qui se manifeste aux hommes et leur parle, par ses prophètes et par sa création, comme en témoignent de nombreuses et belles citations du texte coranique. Dieu parle dans l’attente d’une réponse, il se dit pour entrer en relation (p.97), il appelle l’homme à se rapprocher de lui et à rivaliser de zèle dans les bonnes œuvres. De ce “Dieu toujours en attente de l’homme”, les 99 Noms divins que réunit la tradition coranique permettent à l’homme d’approcher les visages multiples de son être unique : pardonnant, très miséricordieux, très puissant, très sage, … (p.116). A travers les hadiths qui relatent les dits du Prophète, l’auteur s’attache à dessiner le rapport étroit, malgré la séparation radicale, entre Dieu et l’homme car “s’il vient vers moi en marchant, je viens vers lui en courant, dit Dieu” (p.123).
Au terme de leurs exposés respectifs, “nous nous différencions profondément, mais nous nous retrouvons tout autant”, reconnaissent les auteurs. Car si “l’Absolu se donne à être reconnu”, l’expérience de ce don n’est pas encore épuisée, nous en faisons l’expérience “là où l’amour se fait service” (Claudio Monge, p. 138). Et ils concluent : “Nous croyons différemment dans un même Dieu, et pour nous deux, Dieu nous parle pour entrer en relation avec nous, par nous et les autres” (D. Gril, p.155).
Ce livre dense mais d’un prix très abordable6 bénéficie d’une belle édition, de nombreuses illustrations qui aèrent et éclairent le texte, avec l’insertion de quelques brefs éclairages complémentaires apportés soit par les auteurs, soit par deux théologiens (Anne Vivier-Muresan, chrétienne, et Abdessalem Souiki, musulman). C’est une lecture qui nourrit et stimule la réflexion personnelle et spirituelle, et où le croyant de l’une et l’autre confession trouvera matière à éclairer l’une et l’autre foi dans ce qu’elles ont de meilleur.
Bertrand Wallon7
1 Le Dialogue : la vérité à l’épreuve du dialogue entre chrétiens et musulmans / Adrien Candiard et Omero Marongiu-Perria.- Publications de la Conférence des évêques de France/Service national pour les relations avec les musulmans (SNRM), 2020.- (Groupe Théologie en Dialogue ; Cahier n°1).- 70 p.-10 €
2 Le dialogue (op.cit.), p.53
3 Claudio Monge a notamment publié, avec Gilles Routhier, Oser l’hospitalité à l’école de Pierre Claverie et Christian de Chergé.-Bayard, 2019
5 Constitution dogmatique sur la Révélation divine, Dei Verbum (18 novembre 1965)
6 10 €, plus frais de port ; commander la revue En dialogue sur le site de la Conférence des évêques de France.
7 (Note de la rédaction). Secrétaire général de l’Association Les Amis de l’Idéo et administrateur de Chrétiens de la Méditerranée, auteur de nombreuses recensions pour notre site. https://www.chretiensdelamediterranee.com/?s=Bertrand+Wallon