L’état de l’Union. Rapport Schuman 2021 sur l’Europe

La Fondation Robert Schuman¹ a publié, il y a quelques mois, son rapport annuel sur l’Europe. Ce très riche manuel contient une mine d’analyses rédigées par une vingtaine de personnalités et de chercheurs spécialistes des questions européennes². Complété par une annexe fournie en statistiques, cartes et schémas³, l’ensemble constitue un remarquable instrument pédagogique et de recherches, tout en restant accessible au non spécialiste, et permet d’approfondir la réalité d’une construction qui se trouve désormais à la croisée des chemins.

Trois questions essentielles illustrent plus particulièrement cette problématique, parmi les différentes contributions rassemblées, qui vont de la gouvernance à la géopolitique en passant notamment par le budget, la politique spatiale, et la santé.

Tout d’abord, comme l’écrit Jean-Louis Bourlanges en revenant sur sa genèse, le modèle européen fondé sur “un parti pris de dépolitisation rationnelle et de paix” est désormais gravement menacé dans un environnement redevenu hostile où “le rapport de forces entre l’Europe et le reste du monde est de moins en moins favorable aux Européens.“⁴ Aussi, sans un changement radical de paradigme orientant leur Union vers “une autonomie stratégique“,⁵ les Européens encourent le risque d’être prochainement vassalisés par d’autres compétiteurs. Plusieurs autres contributeurs, Clément Beaune⁶ notamment, s’expriment en faveur de ce choix décisif qui suscite, néanmoins, des réticences de plusieurs États membres, en raison de la réévaluation radicale du positionnement géopolitique de l’Europe⁷ qu’il entraînerait. En tout cas, cette question ne manquera pas d’être débattue à l’occasion de la prochaine présidence française du Conseil de l’Union, pendant le premier semestre 2022.

La profonde réforme institutionnelle – rendue indispensable par des carences récurrentes de gouvernance des institutions européennes-, est un autre chantier qui s’ouvre aux Européens⁸. Ses enjeux sont clairement présentés par Jean-Dominique Giuliani. Après une profonde réflexion sur leurs causes et le désaveu que soulève une inefficacité régulièrement dénoncée par des opinions publiques, pourtant majoritairement acquises à l’idée européenne, il suggère de procéder, avant tout, à une meilleure répartition des compétences entre les différentes institutions. Il préconise, pour cela, de partir des Traités existants plutôt que de s’engager dans leur renégociation aussi complexe que périlleuse. Puis il propose une série pertinente de nouvelles actions guidées par un souci d’efficacité et de simplification, afin de répondre aux demandes croissantes des États membres⁹.

La question migratoire est le troisième grand problème de l’agenda européen.

Les Européens se sont révélés jusqu’alors incapables de définir, à cet égard, une vraie politique audacieuse, digne des valeurs qu’ils revendiquent et de l’immense problème de civilisation qui leur est posé pour les années à venir¹⁰. Les deux seules contributions¹¹ consacrées dans le Rapport Schuman à cette question, sont regrettablement significatives – par leur approche purement technocratique centrée sur la gestion des flux-, de cette incapacité à voir au-delà de la garde des frontières, de la peur de l’envahissement, et de l’insécurité.

Le rôle de Frontex, l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes¹² est caricaturalement réduit à celui d’un organisme policier dont le développement serait la panacée.

Pas une ligne n’est consacrée à l’urgente question du secours en Méditerranée, abandonnée de fait aux initiatives d’institutions caritatives¹³ qui tentent de sauver des milliers de vie en péril ainsi qu’une part de l’honneur perdu des Européens, alors que les opérations de recherche et de sauvetage font officiellement partie de la mission de Frontex.

Ainsi, en définitive, dans sa vaste diversité, l’ouvrage témoigne-t-il avec justesse des grands défis qui se présentent à l’Europe contemporaine, de la richesse de la réflexion qu’ils suscitent, mais aussi, hélas, de ses limites.¹⁴

Bernard Ughetto,

Membre de CDM