Titre

Moyen-Orient

Sous titre

Idées reçues sur une région fracturée

Auteur

Pierre Blanc et Jean-Paul Chagnollaud

Type

livre

Editeur

Le Cavalier Bleu, 2019

Collection

Idées reçues

Nombre de pages

211 p.

Prix

20 €

Date de publication

4 décembre 2019

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Moyen-Orient. Idées reçues sur une région fracturée

Les deux auteurs, universitaires et spécialistes de la géopolitique du Moyen-Orient[1], n’en sont pas à leur coup d’essai. En duo ou individuellement, ils ont à leur actif nombre d’ouvrages consacrés à la situation de la région. Autant dire qu’ils savent de quoi ils parlent. Et ce dernier livre semble le bienvenu pour resituer des choses qu’on croit simples, mais qui sont pourtant plus complexes.

Respectant les contraintes de la collection « Idées reçues », initiée par l’éditeur, les auteurs ont choisi d’examiner 16 thèmes particulièrement révélateurs, 16 « idées reçues » qui circulent dans une opinion gavée de couvertures médiatiques douteuses et simplificatrices. Chacune de ces idées est révélatrice de la relation que nous entretenons « avec ce monde lointain qui nous est si proche ».

Elles ne sont pas toutes de même nature. Groupées selon trois thèmes : histoire et société – politique – géopolitique, certaines affirmations ne demandent pas à être déconstruites : elles sont exactes. Ainsi, la réalité historique confirme que l’Empire Ottoman a permis la coexistence de communautés différentes, mais sa dislocation s’est effectuée dans un déchaînement de violences qui ont confiné au génocide. Ainsi encore, le Moyen-Orient bénéficie du pétrole, ce qui entraîne, on le dit peu, une économie de rente conservatrice, de la corruption, des conflits et des dérives autoritaires. Oui, les chrétiens d’Orient doivent être protégés ; encore faut-il qu’ils ne soient pas instrumentalisés comme boucs émissaires et qu’ils puissent apporter la richesse de leurs différences[2]… Ici, tout est affaire de balancement : une vérité doit être mise en perspective avec son revers, souvent occulté.

D’autres idées reçues demandent à être recadrées et complétées. Si les accords Sykes-Picot [3] ont reconfiguré le Moyen-Orient après la première guerre mondiale, c’est une situation largement dépassée puisqu’aujourd’hui, ce sont les influences américaines et russes qui l’emportent, sans oublier le duel Iran-Arabie Saoudite. « L’Occident fait le jeu » n’est plus un concept opératoire.

Enfin, des affirmations fausses, couramment admises, doivent être résolument déconstruites et critiquées. Ainsi, « le conflit israélo-palestinien est un conflit religieux ». Non, répondent les auteurs, c’est un contexte territorial de géopolitique globale issu de la décolonisation. D’ailleurs, le sionisme comme les organisations palestiniennes, à leur début, sont davantage socialisants et laïcs que religieux. C’est plus tard qu’on instrumentalisera la religion. Ainsi encore : « le Moyen-Orient est un foyer de terrorisme », sous-entendu, le terrorisme est le propre de l’islam. Les auteurs écrivent : « Considérer que l’islam politique serait le vrai visage de cette religion, au prétexte qu’il serait dans la veine de celui des origines, c’est escamoter toute la longue histoire d’un islam qu’on ne saurait d’ailleurs mettre au singulier. C’est aussi finalement donner raison aux islamistes les plus radicaux qui se réclament de ce supposé islam des origines, au nom d’une mémoire sélective et enjolivée qui est bien autre chose que l’histoire »…

Parmi d’autres questions soulevées, on relèvera les problèmes des ressources en eau, de la fracture sunnites-chiites, de la place des femmes, de la démocratie en Israël et au Liban, de la question des frontières et de celle de savoir si la solution de deux états, Israël-Palestine[4] est encore pertinente.

Certes, et les auteurs le reconnaissent, 16 « idées reçues », analysées, examinées et critiquées, n’embrassent pas la totalité de cette région fracturée. Mais avec la pertinence de ses exposés, les réponses éclairantes et argumentées qui sont apportées, l’analyse critique des représentations qu’on se fait du Moyen-Orient, ajoutées à un style clair, rigoureux et dense, voilà un livre de vulgarisation, essentiel pour qui veut comprendre une situation toujours très mouvante. On sort de cette lecture, davantage convaincu que le simplisme des « idées reçues » est un obstacle majeur à la compréhension et à l’action. Et l’on sait gré aux auteurs de conclure leur livre : « C’est notre modeste devoir de lutter contre tous les raccourcis dangereux qui servent des desseins funestes ».

À lire donc « pour un éclairage distancié et approfondi sur ce que l’on sait ou croit savoir » du Moyen-Orient.

Claude Popin

 

Notes de la rédaction

[1] Pierre Blanc est professeur de géopolitique à Bordeaux Sciences agro et Sciences po Bordeaux. Professeur invité dans plusieurs universités étrangères et françaises, il est chercheur au LAM (Sciences po/CNRS) et rédacteur en chef de la revue Confluences Méditerranée.

Jean-Paul Chagnollaud, professeur émérite des universités, est président de l’iReMMO (Institut de recherches et d’études Méditerranée Moyen-Orient). Il intervient régulièrement dans les médias sur les questions liées au Moyen-Orient. Il a été Doyen de l’UFR de droit de l’université de Nancy puis de celle de Cergy-Pontoise.

[2] Lire la recension du livre de Joseph Yacoub sur Le Moyen-Orient syriaque : la face méconnue des chrétiens d’Orient et écouter l’enregistrement de sa conférence (durée : 1h45) organisée à Lyon le 18/11/2019 par Chrétiens de la Méditerranée et L’Œuvre d’Orient (durée : 1h45).

[3] À ce sujet, lire des mêmes auteurs : L’invention tragique du Moyen-Orient.- Autrement, 2017

[4]  Sur Israël/Palestine, lire : Israël face à Israël : promesses et dérives d’une utopie / Pierre Blanc et Jean-Paul Chagnollaud.- Autrement, 2018 et sur ce livre, regarder la video conférence de J.-P. Chagnollaud à la BM de Lyon, le 17/10/2018. Lire aussi : Israël/Palestine : la défaite du vainqueur /Jean-Paul Chagnollaud.- Sindbad-Actes Sud, 2017.- (La bibliothèque arabe. L’Actuel)