Titre

Pour un nouveau pacte au Liban

Sous titre

Lectures critiques et prospectives

Auteur

ous la direction de Mouchir Basile Aoun, Charles Chartouni et Antoine Fleyfel

Type

livre

Editeur

Paris : L’Harmattan, 2021

Collection

Pensée religieuse et philosophique arabe ; 43

Nombre de pages

147 p.

Prix

17,50 €

Date de publication

21 mars 2022

En savoir plus

Pour un nouveau pacte au Liban : lectures critiques et prospectives

Rédigé par des universitaires libanais, à l’exception de Jean Clam, enseignant-chercheur à l’EHESS de Paris, ce “nouveau pacte au Liban” a comme fil conducteur la faillite de l’État libanais. Après un bref avant-propos, le lecteur est directement plongé dans les analyses qui se succèdent. Les premières contributions donnent le ton : l’échec actuel nécessite une nouvelle pensée, un nouveau pacte, car l’actuel est pragmatiquement caduc. Les apories institutionnelles obligent à un pacte politique non-confessionnel, laïque pour certains, fédéral pour d’autres. Relisant l’histoire ancienne et récente, notamment depuis 1920, les contributions offrent des points de repère pour comprendre ce qui a conduit à la faillite d’un pays surnommé “la Suisse de l’Orient”, meurtri par une guerre qui a duré plus de quinze ans (1975-1990), sans compter la période des occupations, israélienne du Sud Liban jusqu’à 2000 et syrienne en 2005.

L’ensemble donne à voir un profond malaise, notamment du côté des chrétiens qui voient leur idée d’un Liban indépendant s’évanouir. L’échec actuel est celui d’un projet porté principalement par les chrétiens pour se préserver contre les massacres de 1860, la famine du début du 20e siècle et d’une forme de Oumma islamique englobante, les cantonnant directement ou indirectement dans un statut de dhimmi ou de citoyens de seconde zone. Néanmoins, toutes les contributions ne sont pas du même niveau, elles ne relèvent pas du même statut d’analyse.

Si la majorité cherche à proposer les contours d’un nouveau pacte ou d’une solution pour remédier à la faillite du pays, le lecteur appréciera à juste titre l’intervention de Jean Clam qui analyse les mécanismes qui ont conduit à la faillite et souligne le rôle de la diaspora dans son soutien à ceux qui y restent, mais ne propose pas un nouveau pacte, à la manière de Charles Chartouni ou de Mouchir Aoun, tous les deux de l’Université libanaise. Si le premier pointe le problème actuel relatif au Hezbollah qui prend ses commandes d’Iran et propose la neutralité du Liban et “une restructuration de la gouvernance sur des bases fédérales qui mettraient fin aux politiques de domination” (p. 19), le second soutient l’idée d’un fédéralisme géographique ou du moins culturel, sinon une décentralisation administrative. Pour Mouchir Aoun, l’échec du modèle libanais est aussi celui du dialogue islamo-chrétien en raison des différences fondamentales sur le plan anthropologique. Devant l’actuelle faillite, il appelle à une mise sous tutelle onusienne et à une ingérence humanitaire, sans forcément “recueillir au préalable l’assentiment de tous les groupes politiques libanais” (p. 33).

Un peu plus nuancé, mais non moins pertinent, l’article d’Amin Élias de l’Université antonine est une très bonne analyse historique. Pour éviter les redondances avec d’autres articles, le lecteur pourra le lire en premier. Documenté et synthétique, il rejoint le constat d’échec et oriente la réflexion vers un nouveau pacte qui “doit s’établir entre individus, non plus entre communautés, et trouver son point de départ dans un dialogue ouvert, honnête et sincère entre des représentants de toutes les catégories du peuple libanais” (p. 85). Pour Élias, “la laïcité personnaliste” est à privilégier, avant de choisir d’autres modèles plus radicaux, comme “un régime confédéral semblable à celui en vigueur à Chypre” (p. 87).

La contribution d’Antoine Messarra déplace le débat et semble aller à contresens ! En analysant la place de l’article 49 de la Constitution il propose une perspective qui détache de ce qu’il appelle le “sloganisme en vogue sur le ‘confessionnalisme’, l’État ‘laïc’, l’État ‘civil’… ” (p. 121). Pour lui, la solution “réside dans un système plus musclé grâce à une présidence de la République qui ‘veille au respect de la Constitution’ (article 49), et davantage égalitaire grâce à une application normative et non clientéliste de la règle de discrimination (article 95)” (p. 121). Ce qui le conduit à vouloir “théoriser et inculturer le chéhabisme”1 plutôt qu’à se réfugier dans ce qu’il qualifie de “débat d’évasion” (p. 122) en nommant ceux qui ont perdu confiance par rapport au Grand Liban et le compensent par “l’État ‘minimal’, le fédéralisme territorial, l’État largement décentralisé…”. Pour lui, toute recherche dans un État fédéral ou décentralisé risque d’avoir les mêmes problématiques dès lors qu’il s’agit d’organiser les forces armées, les relations diplomatiques ou la gestion des affaires publiques. Il n’y a pas à reproduire un autre modèle, l’histoire du Liban ne doit imiter qu’elle-même (p. 130).

Le dernier article signé par Antoine Fleyfel ressemble davantage à une trajectoire intellectuelle qui commence par montrer les fondements théologiques du pluralisme en s’appuyant sur le métropolite grec-orthodoxe Georges Khodr (n. 1923) et la vocation à la liberté civilisationnelle des chrétiens et de leur mission dans le monde arabo-musulman, en citant la figure de Farid Jabr (1921-1993), prêtre lazariste et professeur à l’Université libanaise à partir de 1957, pour rejoindre le fédéralisme proposé par Mouchir Aoun qu’Antoine Fleyfel cite et qui, au fond, a fait la même trajectoire. L’article de Fleyflel est une autre manière de décrire la trajectoire de Mouchir Aoun.

Mais ici une question se pose : comment les chrétiens pourront-ils continuer à jouer ce rôle civilisationnel et cette vocation vis-à-vis des musulmans arabes s’ils finissent par se retrouver cantonnés à une logique fédérale culturelle ou régionale ? Une autre question s’ensuit : le fédéralisme, territorial ou culturel, ne risque-t-il pas de conduire, de facto, à une sorte de ghetto culturel ? De deux choses l’une : soit les chrétiens renoncent à cette vocation qu’ils estiment impossible dans le contexte politique et démographique actuel, soit ils doivent trouver d’autres stratégies pour vivre non pas comme une minorité qui subit les menaces d’une majorité, mais comme un levain dans la pâte et une lumière dans un monde, dans un Liban, de plus en plus assombri par la responsabilité historique, politique et nationale de tous les Libanais, autant les musulmans avec le problème d’une loyauté extra-nationale que les chrétiens avec la perte de sens de ce qui faisait leur force.

Michel Younès
Responsable du CECR
Centre d’Études des Cultures et des Religions
(Faculté de théologie de l’Université catholique de Lyon/UCLy)

1 En référence à Fouad Chéhab, né le 19 mars 1902 à Ghazir et mort le 25 avril 1973 à Jounieh, un ancien commandant de l’armée libanaise devenu président de la République entre 1958 et 1964, ayant accompli un certain nombre de réformes publiques qui lui ont valu d’entrer en conflit avec les politiciens aux conceptions féodales et confessionnelles de la vie politique.

Retour à l’accueil