Titre

Saint Louis et le monde. Géopolitique d’un roi chrétien

Sous titre

Dossier de la revue L’Histoire, n°478

Auteur

sous la direction de Valérie Hannin avec Julien Loiseau et Yann Potin

Type

livre

Editeur

Paris : Sophia Publications, déc. 2020

Nombre de pages

25 p. (31-55)

Prix

6,40 €

Date de publication

23 décembre 2020

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Saint Louis et le monde. Géopolitique d’un roi chrétien

Saint Louis, ce roi de la France moyenâgeuse, dont on se souvient qu’il a conduit les deux dernières croisades, aurait-il encore le moindre intérêt aujourd’hui ? La réponse à cette question tient dans une autre question : Qu’allait-il faire en Egypte ?, celle que pose la revue L’Histoire au début des 25 pages de son dossier. Le suspense est lancé…

L’éventualité d’une énigme historique ou l’évocation (discrète) du 750e anniversaire de la mort de celui qui n’a été que Louis IX, ne suffiraient pas à expliquer le regain d’intérêt subit de cette fin novembre 2020 où, en l’espace d’une semaine, se sont succédé une heure d’histoire sur France-Culture1, la première page du Monde des livres2, ce numéro de la revue L’Histoire3 et une publication d’un historien médiéviste4. De plus, la question, apparemment innocente, qui ouvre ce dossier intrigue plus qu’on ne le croit, surtout si on la rapproche de la mort du roi en 1270 : Qu’allait-il faire à Tunis ? L’optique de toutes ces publications reste bien l’international et non la biographie du roi et sa politique intérieure.

Deux articles importants vont ouvrir des horizons souvent méconnus. On doit le premier, sous le titre de la question-énigme initiale, à deux médiévistes, Julien Loiseau et Yann Potin, respectivement professeur d’Université et archiviste. Ils s’intéressent d’abord à la personnalité du roi, à ses motivations religieuses et surtout politiques. Depuis 1219, date où François d’Assise rend visite au Sultan, les préoccupations des franciscains s’orientent vers la protection des chrétiens en pays islamiques et le désir de ramener les musulmans à la foi chrétienne. Louis IX, par sa piété, son austérité et sa simplicité, participe à cette mouvance de l’époque. Mais c’est le côté politique qui va révéler un roi à la fois ambitieux, lucide et pragmatique. En 1248, quand il s’embarque pour l’Orient, il sait que les démêlés du Pape et de l’Empereur germanique laissent un vide dont il va profiter pour devenir l’interlocuteur prépondérant de l’Occident. Il sait aussi que le monde islamique est en pleine recomposition. L’Egypte des Ayyoubides, avec Le Caire, en est devenue la véritable capitale, et donc la clef de Jérusalem. C’est là qu’il faut aller. Du Caire, puis des territoires encore latins en Palestine, ce roi-diplomate ne pourra qu’assister, impuissant, aux soubresauts de l’époque : prise de pouvoir des Mameluks turcs, créations de Sultanats indépendants rompant l’unité de la communauté musulmane, celui des Omeyyades à Cordoue, celui des Hafsides à Tunis… Quinze ans après son retour en France, c’est à Tunis que Louis IX se rendra et il y mourra. Ce qu’il allait donc faire en Egypte et à Tunis, c’est moins conquérir (pour cela, il aurait pu viser Jérusalem…) qu’assurer une place diplomatique à l’Occident chrétien (dont il s’estime le représentant) dans les bouleversements de l’Orient.

Du second article, Le grand projet d’alliance mongole, écrit par Marie Favereau, maîtresse de conférences à Paris-Nanterre, on ne saurait dire s’il n’est que la toile de fond du premier ou s’il en est la clef. Les conquêtes des tribus mongoles venues d’Asie constituaient une menace sérieuse pour l’Orient et même pour l’Europe. S’en faire des alliés plutôt que des ennemis ? Louis IX sait, par ses émissaires-aventuriers comme le franciscain Guillaume de Robrouk, que certaines populations mongoles sont des chrétiens ariens, donc susceptibles de s’entendre avec les chrétiens d’Occident. D’où ces tentatives d’alliances que le roi de France attendra en vain durant les six années de son séjour en Orient. Tant du côté musulman que du côté mongol, voilà donc un bilan diplomatique presque nul. L‘Occident chrétien divisé restera marginalisé et sans influence sur les événements du monde oriental.

Le dossier est complété par deux articles concernant les relations avec l’Espagne et l’Angleterre, où il apparaît que Louis IX réussit mieux en Occident, grâce à sa détermination, son esprit de dialogue et sa recherche de compromis. Certes, il reste un homme de son temps. Il confond mission et conversion en Orient, il ne fait qu’aménager, en Europe, une féodalité qu’on ne supportera plus quelques siècles plus tard avec la désastreuse guerre de Cent Ans. Mais sa vision à long terme des relations nécessaires entre des peuples, proches ou lointains, mérite bien le qualificatif de géopolitique, ce mot moderne qui paraît presque incongru dans le sous-titre de ce dossier consacré au Moyen Age. A tel point que l’historien Patrick Boucheron, dans ses lignes de conclusion, parlera de l’homme-monde. Ce faisant, il soulignera, comme ses confrères cités plus haut, l’apport décisif de Jacques Le Goff5, révolutionnant la représentation traditionnelle du roi saint. Louis IX apparaît comme un homme politique déterminé, pratique et clairvoyant, loin de l’image classique d’un roi idéologique et religieux.

Cette étude de la géopolitique d’un roi chrétien est servie par la qualité graphique de la revue. Sur une double page, une carte de l’Europe-Asie, détaillée et facile à lire, présente le nouvel ordre mondial de 1250. Les textes sont jalonnés d’encarts explicatifs, chronologiques et biographiques, de citations appropriées ou anecdotiques, ainsi que de reproductions soignées de portraits ou d’épisodes remarquables. On lira, sur presque deux pages spéciales, une interview de William C. Jordan à propos de la parution de son livre sur les convertis de l’islam sous le règne de Louis IX4. Autant de raisons de parcourir attentivement cette revue pour le plaisir d’apprendre et de comprendre, à travers des perspectives nouvelles et décentrées. Et cela, sans compter avec les autres articles qui occupent, quand même, les trois quarts de la revue…

En lien avec l’actualité, on ne peut oublier de faire ici mention de l’éditorial émouvant qui ouvre la revue dans son hommage à Samuel Paty, le professeur assassiné le 16 octobre 2020 à Conflans-Sainte-Honorine. Les religions seraient-elles donc toujours sources de dramatiques malentendus ? On appréciera cette résolution, mise en exergue par la direction de la revue : Comme Samuel Paty, nous continuerons à faire de l’histoire de tout, notamment des religions, sans arrogance mais sans autocensure.

Claude Popin

1 France-Culture : Qu’allait faire St Louis en Egypte ? (cf. émission Le cours de l’histoire /Xavier Mauduit, vendredi 27 novembre 2020, 51 mn). Intervenants : Valérie Hannin, directrice de la rédaction du magazine L’Histoire et Julien Loiseau, professeur d’histoire médiévale à l’université d’Aix-Marseille.

2 Le Monde des livres, daté du vendredi 27 novembre 2020 : Sur les traces des convertis de Saint Louis.

3 L’Histoire, revue mensuelle, n°478, déc. 2020.- Sophia Publications, 8, rue d’Aboukir, 75002 Paris. Si, fin décembre, ce numéro n’est plus en kiosque ni dans les maisons de la presse, c’est à cette adresse qu’on pourra se le procurer ou sur le site qui en présente le sommaire avec son dossier sur St Louis et le monde . Version numérique à 5,50 € ou version papier à 6,40 € hors frais de port.

4 La prunelle de ses yeux : convertis de l’islam sous le règne de Louis IX / William C. Jordan.- EHESS, oct. 2020.- (En temps & lieux)