Titre

Sauver les livres et les hommes

Auteur

Père Michaeel Najeeb, avec Romain Gubert

Type

livre

Editeur

Paris, Grasset, 2017

Nombre de pages

180

Prix

17 €

Date de publication

24 juillet 2018

Sauver les livres et les hommes

Difficile de s’arracher de ce récit qui se lit d’une traite, comme une épopée ou une aventure extraordinaire ! Et si ces pages sont jalonnées, jusqu’à la nausée, de feu, de sang et de mort, (Daech est passé par là), elles magnifient aussi le courage, l’intelligence et l’humanité bienveillante, véritables antidotes contre la barbarie.

Michaeel Najeeb est religieux dominicain, originaire de Mossoul, l’ancienne Ninive. Ce n’est pas un « chrétien d’Orient » mais un « premier chrétien » comme il le dit lui-même, conscient et fier d’appartenir à ce peuple mésopotamien, qui parle encore araméen et qui s’enracine dans le Proche-Orient bien avant que l’islam ne s’y implante. Sa passion pour les livres et l’histoire bimillénaire de son pays, il la mettra au service de la bibliothèque du couvent de Mossoul jusqu’en 2004, transférée ensuite à Qaraqosh, petite ville chrétienne. Il s’agissait de la plus importante collection de livres d’Irak, non seulement des imprimés, mais surtout des manuscrits, les plus anciens datant du XIIe siècle. C’était un trésor de textes anciens : philosophie, histoire, théologie juive, musulmane et chrétienne. Michaeel Najeeb, en vrai professionnel, va s’atteler à un travail de titan : répertorier et numériser pour les sauver, tous les manuscrits éparpillés dans les différentes implantations chrétiennes de la région, de Mossoul et Bagdad jusque Mardin, en Turquie d’aujourd’hui.

Son récit commence en juillet 2014, alors que Qaraqosh est déjà sous la menace de Daech. En août, la ville est prise, c’est l’exode forcé, la fuite vers Erbil, sous protection kurde1. Dans l’urgence, on entasse des cartons de livres et de manuscrits précieux dans tout véhicule disponible, ainsi que le matériel photographique, reprographique et numérique. Ne seront laissés sur place que des originaux intransportables et déjà numérisés. A Erbil, c’est l’afflux des réfugiés de toutes origines et de toutes confessions : chrétiens, yézidis, musulmans, tous fuyant les exactions de « l’État Islamique ». « En quelques jours, raconte l’auteur, c’était devenu une ville de 100000 SDF ». L’essentiel des livres étant à l’abri, Michaeel Najeeb va se consacrer à cette population déracinée, se faisant l’intermédiaire avec les autorités, trouvant des logements pour les familles les plus nombreuses et souvent les plus pauvres, réglant les affaires des uns et des autres.

Tout cela est dit, sans forfanterie, à hauteur d’homme, comme si, dans ces circonstances exceptionnelles, il s’agissait d’actes naturels relatés à travers de multiples anecdotes personnelles. Les pages les plus sidérantes sont celles de son dernier chapitre. En décembre 2016, Qaraqosh2 est débarrassée de Daech et Michaeel Najeeb parcourt les ruines de la petite ville chrétienne. Les destructions, les exactions de tous ordres dont témoignent de rares survivants, les meurtres mis en scène, l’acharnement des djihadistes à effacer toute trace chrétienne, les cendres de la bibliothèque (« Rien n’est plus triste qu’un cimetière de livres ») Le dominicain constate tout, sans haine, sans jugement négatif, mais avec beaucoup d’interrogations : pourquoi ? Comment peut-on en arriver là ? Qu’est-ce que cette rage de tout anéantir ? Au passage, il rappelle que déjà sous Saddam Hussein, la dictature avait jeté les prémices de cette folie de destructions et qu’après la seconde guerre d’Irak, en 2003, les troupes américaines n’avaient apporté que le chaos.

L’action de Michaeel Najeeb a été médiatisée par les télévisions occidentales : « L’homme qui a sauvé les livres ». Mais lui-même ne se considère pas comme un héros. « S’occuper de ces manuscrits est évidemment dérisoire. Mais je ne peux rien faire pour arrêter les conflits alors que je peux sauver ces petits fragments de notre histoire. Un peuple sans racines est un peuple mort ». Le titre du livre prend alors tout son sens : face à la frénésie de mort d’une organisation dévoyée, c’est bien indissociablement l’homme et sa culture qu’il faut sauver.

Claude Popin

1 Écouter Le Magazine de la rédaction de France Culture, rediffusé le 21/07/2018 : Quel avenir pour les communautés chrétiennes et yézidies, en Irak ? (durée : 54 mn).

2 Écouter sur RCF l’émission Mesopotamia, foi et patrimoine des chrétiens d’Irak, avec Pascal Maguesyan, chargé de mission de l’association Mesopotamia Heritage :