Titre

Un Moyen-Orient ordinaire

Sous titre

Entre consommations et mobilités

Auteur

sous la direction de Thierry Boissière, Yoann Morvan

Type

livre

Editeur

Marseille : Diacritiques éditions, 2022

Collection

Sciences humaines et sociales

Nombre de pages

273 p.

Prix

24 €

Date de publication

10 septembre 2023

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Un Moyen-Orient ordinaire : entre consommations et mobilités.

Pour qui connaît déjà un peu le Moyen-Orient, ce livre se lira avec intérêt. Relativement court, il est agréable à lire : de bonne facture, aéré et illustré (en couleur), il se parcourt facilement malgré son aspect souvent technique. Scientifique, son ambition n’est autre que “de contribuer à une anthropologie du capitalisme en étudiant les diverses formes de circulations et de consommations telles qu’elles se déploient au Moyen-Orient, dans les mondes turcs, arabes et iraniens”. Comme on peut le lire en quatrième de couverture,

“l’ouvrage vise ainsi à comprendre comment les changements liés à la globalisation s’inscrivent au quotidien dans des sociétés réputées conservatrices et parfois antagonistes, et cela dans des contextes marqués par d’importants bouleversements politiques et économiques, en particulier depuis 2011”.

Fruit d’un colloque international d’études urbaines organisé à Erbil, au Kurdistan irakien, par l’Université de Salahaddin et l’Institut français du Proche-Orient (Ifpo)1 en octobre 2018, l’ouvrage bénéficie de la multiplicité de plumes spécialisées et d’une approche pluridisciplinaire. Thierry Boissière et Yoann Morvan2 ont réuni ici les contributions de huit chercheurs issus d’horizons géographiques et disciplinaires variés, plus une postface fort pertinente signée par Hamit Bozarslan, directeur d’études au Centre d’études turques, ottomanes, balkaniques et centrasiatiques de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS).

Après une introduction fondamentale pour comprendre la problématique et la démarche qui est suivie, l’ouvrage est donc construit en quatre paires d’articles qui prennent ici le nom de chapitres. Les deux premiers chapitres présentent des “analyses historiques et transglobales des circulations”. Suivant une approche qui participe d’une histoire connectée des empires, Nora Lafi tente d’abord de saisir les caractéristiques des circulations ayant affecté le Moyen-Orient entre la période ottomane et le début de la période coloniale. Et dans une même perspective de “connectivité”, Paul Anderson se penche sur les réseaux des commerçants syriens et yéménites qui, depuis un quart de siècle, relient la ville de Yiwu, dans le sud-est de la Chine à l’ “Asie occidentale”.

Centrés respectivement sur la ville iranienne de Qom et sur Koweït City, les deux chapitres suivants mettent en lumière d’autres formes de globalisation. Sepideh Parsapajouh s’interroge ainsi sur le cosmopolitisme de la ville sainte chiite, montrant “comment cette diversité autour de l’axe du religieux participe à la circulation de modèles socioculturels, urbanistiques, économiques et idéologiques nouveaux dans la région, au-delà des politiques nationales” (p. 21). Claire Beaugrand appréhende de son côté la consommation koweitienne “comme support d’imaginaires et de symboliques urbains”, distinguant un marché de circuits moyens du circuit long du marché des matières premières.

La paire d’articles suivants est centrée sur le “commerce à la valise” dont Istanbul demeure la source : Jean-François Pérouse l’aborde à partir d’une étude temporelle discontinue du quartier commerçant de Laleli, le replaçant dans un système d’opportunités et de contraintes plus large, quand Mina Saïdi-Sharouz analyse le même phénomène depuis l’Iran.

Enfin, les deux derniers chapitres s’intéressent aux circulations en Iran et en Turquie sous l’angle des pratiques de consommation. Olivier Givre explore ainsi les transformations de la fête du Sacrifice à partir du terrain stambouliote, mettant en évidence “l’entrelacement entre croyance religieuse, économie du don, gouvernance urbaine et capitalisme globalisé”. Amin Moghadam appréhende pour sa part la plus récente tendance à la consommation du café à Téhéran, mettant en lumière les nouveaux modes de représentation de la classe moyenne postrévolutionnaire et l’autonomisation de certaines pratiques sociales, comme celle du voyage.

A partir de plusieurs aperçus territoriaux et d’une étude des circulations marchandes où se mêlent imaginaires, plaisirs et contrebandes, cet ouvrage nous présente donc un Moyen-Orient décalé, quasi déplacé dans une Eurasie qui l’engloberait et qui échapperait ainsi aux seules influences occidentales. “Si le Moyen-Orient est régulièrement envisagé comme un ‘problème’ (…), il est rarement appréhendé sous l’angle de ses continuités, parfois souterraines et silencieuses, de l’ordre du quotidien” (p. 16).

S’inscrivant ici dans le sillage de Michel de Certeau, les études rassemblées dans cet ouvrage s’attachent ainsi à l’analyse des “quotidiennetés et routines faites notamment d’échanges marchands et de consommations” pour montrer et comprendre un Moyen-Orient “ordinaire” par-delà les crises et au-delà de la seule approche géopolitique.

Rémi Caucanas3

Notes de la rédaction

2 Thierry Boissière est anthropologue, maître de conférences à l’Université Lumière Lyon 2 

Yoann Morvan est anthropologue (CNRS) au Mésopolhis (Sciences-Po, Aix-Marseille Université) et chercheur associé à l’Institut français d’études anatoliennes d’Istanbul

3 Ancien directeur de l’Institut Catholique de la Méditerranée (ICM, Marseille, France), et ancien secrétaire général adjoint du réseau Chrétiens de la Méditerranée, Rémi Caucanas est chercheur associé à l’Institut de Recherches et d’Etudes sur le Monde Arabo-Musulman (IREMAM, Aix-en-Provence, France) et au Pontifical Institute for Studies in Arabic and Islam (PISAI, Rome, Italy). Professeur en histoire de l’Église et histoire des relations islamo-chrétiennes, il a enseigné au Tangaza University College (TUC, Nairobi, Kenya) de 2018 à 2021, et à l’Université Saint-Paul (Ottawa, Canada) en 2022. Il vit aujourd’hui à Belo Horizonte, au Brésil, où il a commencé une résidence post-doctorale à l’Université Fédérale du Minas Gerais.

Rémi Caucanas est intervenu en visioconférence à l’ouverture de l’Université d’hiver de CDM à Lyon (17-19 mars 2023).

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