Titre
Une vision du mondeAuteur
Hubert VédrineType
livreEditeur
Paris : Bouquins éditions, 2022Collection
La collectionNombre de pages
827 p.Prix
30 €Date de publication
23 octobre 2022Une vision du monde
Il ne s’agit pas du dernier livre d’Hubert Védrine, mais d’une compilation de textes tirés de ses ouvrages précédents, de ses interventions, colloques, conférences, rapports, articles et interviewes s’étalant sur les quatorze années que l’auteur a passées comme conseiller du président Mitterrand (1981-1995) pour la politique internationale, puis comme ministre des Affaires étrangères (1997-2002) du président Chirac dans le gouvernement de cohabitation avec Lionel Jospin.
L’ouvrage, plus de 800 pages, aurait pu être un alignement de textes sans ligne directrice forte, mais le talent et la cohérence d’Hubert Védrine, considéré comme l’un des grands experts mondiaux de la géopolitique, ont su éviter le piège du fourre-tout politique. Que ce soit sur les problèmes planétaires – écologie, surpopulation, émigration, dissuasion nucléaire, réformes des grandes organisations internationales, Europe, Otan, dérégulation de la finance mondiale – ou sur la situation des grandes puissances, les analyses de l’ancien chef de la diplomatie française, restent argumentées et ouvrent toutes sur de salutaires débats.
Deux idées dominantes se retrouvent dans chaque chapitre du livre :
Le changement du monde après la chute de l’URSS et du bloc communiste en 1991, avec l’arrivée de pays émergeants tels la Chine, le Brésil, l’Inde et d’autres, symbolisé par le passage du G7 au G20, et la fin de la domination occidentale.
Et l’illusion des utopistes et des rêveurs d’une naissance d’un monde uni – une société civile multipolaire pacifique remplaçant l’Etat -, sous la coupe d’une économie de marché mondiale, comme le rapporte le politiste américain Francis Fukuyama, dans un best-seller mondial1.
Et la France dans tout cela ? Quelle est sa place dans ce monde globalisé ? Elle est partagée, selon H.Védrine, entre, d’une part, son arrogance, et, de l’autre, son manque de confiance, tout en restant pourtant une des puissances mondiales importantes. Et si elle n’est plus la première nation, elle n’est pas non plus sans atouts.
Hubert Védrine se définit comme un homme guidé par l’analyse, la réflexion et l’histoire, mais jamais par les émotions, ni par les sondages d’opinion. C’est là, dit-il, toute la différence entre l’homme d’Etat et l’homme politique. Même si on doit tenir compte des opinions publiques sensibilisées par les médias et les réseaux sociaux. Même si les minorités en souffrance ne laissent pas indifférent, « on ne dirige pas un pays comme une ONG, et on ne bâtit pas une politique étrangère sur les droits de l’homme, mais sur ses intérêts nationaux. »
Son espoir : l’écologie, qui pourrait, peut-être, fédérer les pays aux histoires et aux besoins différents. Mais la prudence reste de mise.
Dans la dernière partie du livre, H.Védrine analyse les rapports de la France avec différents pays ou continents. Il s’agit de s’accrocher à construire l’Europe, malgré toutes les difficultés, avec des Etats forts et indépendants et de faire comprendre aux Etats-Unis, l’hyperpuissance, que si nous sommes alliés, nous ne sommes pas alignés. Hubert Védrine donne aussi des pistes pour collaborer avec la Chine, le monde arabe, la Russie, l’Afrique etc.
Des passages peuvent s’avérer contestables. Notamment celui où l’auteur affirme le souci de moralité de la politique étrangère de la France, ou exprime l’admiration, qu’il porte à François Mitterrand pour le rôle que l’ancien président français a joué dans l’Union européenne.
A propos de la politique étrangère, Hubert Védrine pense que cette dernière est morale. Et, comme beaucoup d’autres j’en doute. Quelques exemples:
Pourquoi ne rompons-nous pas avec la Chine, alors qu’elle massacre le peuple des Ouïghours, et persécute ses opposants comme à Hong-Kong ? Autre exemple : pourquoi ne sanctionnons-nous pas Israël qui pratique une politique d’apartheid envers les Palestiniens ? Pourquoi, encore, avons-nous abandonné le peuple kurde, qui s’est battu en Syrie pour vaincre Daech ?
Non, la politique internationale n’est pas morale. Elle sert seulement les intérêts des plus forts. Mais nous ne pouvons pas nous en passer.
Malgré ces réserves, l’ouvrage est capital. Il nous aide à mieux connaître la marche du monde, ses pièges et les directions à prendre pour les éviter2.
Notes de la rédaction
1 La fin de l’histoire et le dernier homme / Francis Fukuyama ; trad. de l’anglais Denis-Armand Canal.- Paris : Flammarion, 1992, rééd. 2009.- (Champs ; 821. Essais).- 451 p.-10 €
2 D’Hubert Védrine à lire, notamment : Le monde au défi .-Pluriel, 2017 ; Et après ? .-Fayard, 2020 ; Dictionnaire amoureux de la géopolitique.- Plon : Fayard, 2021
Sur notre site : lire art. dans Le Monde du 30/05/2015 : Européens, soyez audacieux et innovants en matière d’immigration ! et, en note 2 de la recension du livre Qu’est-ce qu’une nation ?/ Pascal Ory, écouter la Parole inattendue d’Hubert Védrine, sur les nations, le dimanche 22/11/2020, dans l’émission Le Jour du Seigneur : « Toutes les nations seront rassemblées devant lui » (Mt 25, 31-46)