Titre
Violences et religionsAuteur
Christian Salenson et Dominique Santelli (dir.)Type
livreEditeur
Marseille : Publications Chemins de Dialogue, mars 2020Nombre de pages
254 p.Prix
18 €Date de publication
25 août 2020Violences et religions
Ce livre rassemble les Actes d’une session sur l’enseignement du fait religieux, qui a eu lieu à Marseille. Seconde publication d’une série sur Les religions à l’école, – après un premier tome : A la rencontre de l’Islam (2017) – le présent ouvrage a pour sujet exclusif le rapport entre violences et religions. Seul, le dernier chapitre ouvre quelques perspectives d’application en milieu scolaire.
Si le thème est unique, le livre est pluriel. On a affaire ici à la symphonie habituelle des comptes-rendus de colloque, avec les disparités, mais surtout la profonde convergence des neuf intervenants : philosophes, historiens, sociologues, théologiens, spécialistes de la Bible et du Coran, enseignants, etc.1 Leurs contributions seraient difficiles à résumer ici, tant elles reposent sur une parfaite maîtrise de leurs spécialités, sur leurs analyses construites et pertinentes et une densité qu’exigent des textes courts et percutants. Non moins remarquables sont la méthode et la structure de l’ouvrage quand on en fait une lecture cursive, quitte à revenir sur tel ou tel aspect particulier pour approfondir la pensée.
Dès leur introduction, les deux co-dirigeants de la session insistent sur la complexité du rapport violences-religions, réfutant avec force la mentalité populaire et médiatique qui désigne toute religion comme source de violence. De même s’élèvent-ils contre cette idéologie apologétique selon laquelle les religions sont facteurs de paix. L’histoire et les faits, à condition de les prendre pour ce qu’ils sont, démontrent abondamment le contraire. Ce qui fait qu’avec un peu d’étymologie et de rationalité, on ne peut que constater que la violence est une « force » inhérente à la nature humaine, à commencer par la naissance de chacun. Y aurait-il une « violence utile » ?
Un long développement sur la pensée de René Girard va permettre de baliser le chemin, à commencer par cette interrogation : « D’où vient la violence ? » On sait, depuis les travaux de l’auteur de La violence et le sacré (1972), l’importance de l’imitation et du désir d’appropriation dans les rapports humains, – l’échappatoire du « bouc émissaire » comme si la violence venait toujours d’une frustration de l’autre qu’il faut sacrifier, – la sacralisation et la ritualisation de celui qu’on sacrifie qui devient alors le héros assurant la cohésion du groupe. Ainsi, la religion apparaît comme une régulation codifiée de la violence originelle. Sauf que, selon René Girard, le christianisme est la religion qui sort de la sacralité archaïque fondée sur la violence, par la substitution symbolique du sacrifice et l’appel à une société plus fraternelle. Cette « sortie de la religion » implique que la société civile prenne le relais de la régulation sociale (justice, police, travail, économie, relations internationales…)
Sociologues et historiens rappellent que toutes les religions sont concernées par la violence. Elles se retrouvent au cœur de nombreux conflits contemporains ou historiques, sinon à la source, souvent comme facteur aggravant en légitimant les guerres, en héroïcisant ses acteurs (les « martyrs ») et en faisant appel à un Absolu sacralisé qui ne souffre aucun compromis. Même si les monothéismes sont particulièrement visés, avec leur conception d’un Dieu unique « tout-puissant », on constate que les agresseurs bouddhistes ou hindouistes sont à l’origine des persécutions des Rohingas musulmans en Birmanie, des Ouigours en Chine ou toute autre religion en Inde. La violence interne aux religions jalonne l’histoire avec l’Inquisition, les Guerres de Religions, les conflits sunnites-chiites au Proche-Orient etc. S’y ajoutent d’autres considérations liées à des idéologies absolutisantes : ethnies, territoires et nationalismes, nazisme, communisme, laïcité… chacune étant sûre de sa légitimité, de sorte que les religions sont aussi victimes de la violence avant d’en être à l’origine. Complexité !
Les théologiens et spécialistes de la Bible et du Coran s’attachent ici à la lecture des textes fondateurs. Pourquoi tant de versets et de sourates exprimant la violence ? N’est-ce pas que ces écritures plongent dans l’histoire de leurs époques ? Les supprimer serait nier la part sombre de l’humanité. Il s’agit donc de les contextualiser, de vérifier leur genre littéraire, de les interpréter. Au passage, chacun souligne les incompréhensions, les erreurs de traductions, les instrumentalisations, depuis cette notion de « toute puissance » de Dieu, – la « guerre juste » de Saint Augustin qui n’est pas une « guerre sainte », – la conception du « djihad » comme appel intérieur à s’améliorer et non une « guerre » où tout est permis, y compris la négation de l’humanité de l’Autre… Une belle figure illumine une des dernières interventions : celle de Christian De Chergé, assassiné à Tibhirine. Conscient de sa propre violence sur la terre déchirée d’Algérie, il vivait avec ses compagnons, son idéal de fraternité humaine au service de tous.
Mieux comprendre les rapports intimes entre violences et religions, les analyser, les sortir de leurs interprétations partisanes, bref : acquérir un esprit critique, tel a été le parcours de cette session. Au passage, le lecteur aura compris que les religions peuvent (et doivent) être un élément modérateur par leur ouverture au dialogue, l’humanisme et l’intériorité qu’elles proposent. L’enseignement et la connaissance du fait religieux peut permettre aux élèves de mieux réfléchir sur la responsabilité des religions dans la violence, sur leur interprétation et leur instrumentalisation. Et, finalement, de devenir des citoyens lucides et critiques. Tel est le sens de la dernière intervention sur un projet d’établissement scolaire qui met en œuvre l’enseignement des « Religions à l’école ».
Claude Popin
Note de la rédaction
1 Ont dirigé cet ouvrage : Dominique Santelli, historienne et cheffe d’un établissement catholique à Marseille et Christian Salenson, prêtre et théologien. Tous deux sont responsables du département d’études et de recherches sur les religions à l’école, au sein de l’Institut de sciences et de théologie des religions de Marseille (ISTR).
Ont participé à cet ouvrage : Marie-Laure Durand, Béatrice Gleizes, Colette Hamza, Jean-Michel Maldamé, Xavier Manzano, Patrick Parodi, Jean-Louis Schlegel.