Texte intégral de l’intervention de Nora Carmi lors de l’Université d’Hiver de CDM à Annecy, le samedi 1er décembre 2018. (Les passages en gras sous soulignés par l’auteure.)
Un grand merci aux organisateurs et à tous les intervenants qui m’ont précédé et se sont tour à tour essayés à clarifier, analyser et peindre Jérusalem à travers des lunettes variées. Merci aux experts, historiens, théologiens et politiciens. Après deux jours de discussions sérieuses, une évidence : Jérusalem mérite sûrement beaucoup plus d’efforts pour une solution vraie et juste. Où en sommes-nous aujourd’hui ?
Je viens à mon tour partager mon expérience personnelle, celle d’une Palestinienne chrétienne qui a vécu 71 ans à Jérusalem et qui a été témoin de beaucoup des événements dont vous avez tous parlé.
Jérusalem, ma ville natale, un petit coin du monde si attirant. Le nom et le sentiment de lui appartenir ne changent pas, mais trois régimes et gouvernements différents ont marqué ma vie : de la Palestine historique, sous mandat britannique, à une ville divisée entre Israël et la Jordanie, et depuis 1967, une ville libérée pour les Israéliens mais occupée pour un grand nombre de défenseurs des droits de l’homme. Son statut est contesté par les lois internationales et les multiples résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU : depuis 2013 seulement 45 résolutions de condamnation contre l’État d’Israël par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies ont été approuvées, et les recommandations de l’Assemblée générale de l’ONU ne sont toujours pas appliquées. Oui, j’ai survécu à tous les changements de cette ville bénie ou maudite qui est tiraillée entre ambitions politiques, pouvoir militaire ou principes religieux. Cette ville devait être le symbole et un modèle de paix, mais la paix, elle ne l’a jamais connue en raison des multiples conquêtes et empires qui se sont succédés.
Vous m’avez demandé de parler de la vie quotidienne à Jérusalem, durant cette période de 71 ans. Le fait que vous vouliez en savoir plus démontre de votre connaissance, mais aussi de votre méfiance face à l’image d’un Israël soi-disant démocratique et juste. Tout ce que vous voyez à la télévision – tous les témoignages de mes collègues que vous avez entendus ou entendrez – est vrai et pire, mais nous avons aussi retenu les leçons apprises durant les phases précédentes.
De la période 1948, je n’ai que quelques photos de famille et les histoires que mes parents n’ont cessées de raconter avec la nostalgie d’un temps heureux. Je suis née en août 1947 à Jérusalem alors que les balles volaient autour de l’hôpital gouvernemental, sur la rue Jaffa, la rue principale de la ville. J’étais la seconde fille d’une famille arménienne, les Arsenians, survivants du génocide de 1915-16 perpétré par les Jeunes-Turcs. Le livre Towards Golgotha: The Memoirs of Hagop Arsenian, a Genocide Survivor (Haigazian University Press, 2011) raconte l’histoire de la famille qui a miraculeusement trouvé refuge en Palestine historique passant par Gaza, Bethléem et enfin Jérusalem. Pour ces Arméniens pieux et croyants, Jérusalem devint leur salut, et cela jusqu’en 1948. Pharmaciens de père en fils – ayant déjà perdu deux pharmacies en Turquie -, ils se sont intégrés dans une société pluraliste et ont continué à servir honnêtement toute la communauté jusqu’au jour où la famille se trouva obligée, comme 30% de la population de Jérusalem, de quitter la ville en avril 1948, après le massacre de Deir Yassin. La décision fut vite prise, surtout que ma mère avait trouvé des balles dans la chambres des enfants ! Pour mon baptême, le prêtre est venu à la maison pour éviter de mettre en danger toute la famille qui avait l’habitude de se rendre au couvent arménien à hauteur de la porte de jaffa. L’incertitude de l’avenir proche et la peur pour la sécurité des enfants se mêlaient avec l’espoir d’un retour dans les deux semaines au plus tard. C’est pourquoi tous les objets de valeur ainsi que la pharmacie, située à Ma’man Allah (le refuge de Dieu), furent confiés aux Filles de la Charité. Beaucoup de familles musulmanes et chrétiennes qui étaient convaincues que le statut de Jérusalem – le Corpus Separatum de la partition de 1947 – serait respecté, confièrent leurs biens aux religieuses dans l’optique de les récupérer sous une quinzaine jours !! Le couvent existe toujours mais la pharmacie a disparu dans ce qui est devenu le grand centre commercial Mamilla ! Pour mes parents – et pour beaucoup de Palestiniens chrétiens, musulmans et juifs -, la période avant 1947 représentait un modèle de coexistence, de convivialité et de relations sincères. Malgré les mesures dures imposées lors du Mandat britannique et les complots qui allaient faire basculer le pays dans le désastre, et même malgré les différentes « zones » et les lois d’urgence instituées contre les groupes paramilitaires juifs de résistance (eg. la destruction de l’hôtel Semiramis et de l’hôtel King David, centre d’opération de l’Armée britannique), les liens entre les voisins demeuraient forts. Ces images sont restes gravées dans la mémoire de mes parents, surtout de mon père qui avait déjà vécu l’exil à l’âge de 3 ans. Ce n’est qu’après 1967 que les voisins d’autrefois se sont retrouvés, désormais divisés entre les oppresseurs et les opprimés.
Notre refuge forcé au Liban et en Syrie dura jusqu’en janvier 1950. La Fédération Luthérienne Mondiale fit un effort énorme après l’établissement de l’État d’Israël, le 15 mai 1948, pour faire rentrer les réfugiés qualifiés – docteurs, pharmaciens, radiologistes, etc. – car Jérusalem devait devenir une ville ouverte et internationale, conformément aux décisions prises par le Conseil de sécurité de l’ONU ! Même si nous étions réfugiés, à Aley et Alep, nous ne vivions pas dans des tentes et nous jouissions d’une vie assez agréable. Le rêve de mes parents était de rentrer dans leur quartier de Baka à Jérusalem et de reprendre leur vie normale. En violation de toutes les lois et conventions, l’État d’Israël proclamé le 15 mai 1948, nia et refusa aux Palestiniens le droit au retour, et continue à le faire jusqu’à présent. Dès lors, nous sommes devenus des « absents présents ».
Malgré la déception et le choc, au retour (et je me souviens de cette journée froide et des retrouvailles chaleureuses avec mes grands-parents paternels) les Arsenians s’ installèrent à Jérusalem-Est (à l’époque sous autorité jordanienne) et mon père servit à l’hôpital Augusta Victoria pour soigner les réfugiés palestiniens. Ce n’est qu’en 1951 que la pharmacie « Jérusalem Grand Pharmacie », sur la rue Rashid près de la porte d’Hérode, commença à opérer et servit, jusqu’en 2000, une population urbaine et rurale mixte, même dans des villages les plus reculés. La pharmacie devint aussi un centre d’instruction et plus que 30 jeunes assistants acquirent les techniques de confection de pommade, de fabrication de capsules, etc., un don que plusieurs ont pu utiliser même dans les pays arabes du golfe. Ce n’est pas par hasard que le Ministre jordanien de la santé attribua le titre de « Sheikh al Sayadleh », les grands dirigeants des pharmaciens, à mon grand-père Hagop et à mon père Noubar.
Durant cette période de 19 ans, des pèlerins chrétiens venant de Jérusalem/Israël pouvaient passer par la porte Mandelbaum sur la ligne de démarcation (aujourd’hui sur la route no.1) et rester 36 à 48 heures pour célébrer Noël. Les conditions économiques à Jérusalem-Ouest était pires que tout ce que nous avions vécu. Il est vrai que nous n’avions plus le droit de réclamer ce qui nous appartenait et qui se trouvait sur le territoire de l’État d’Israël, mais nous étions désormais des citoyens jordaniens et pouvions circuler avec un passeport dans les pays voisins. Nous avions même un aéroport à Jérusalem et la ville était propre. Les petites ruelles étaient nettoyées par les employés et les habitants pour recevoir visiteurs et frères. L’odeur des épices fraiches se mélangeaient avec l’encens qui brûlait et cheminait vers le ciel, entre les sourires et souhaits des passants. C’est cette Jérusalem que j’ai connue et aimée ! Pour les palestiniens, devenus de facto Israéliens, la vie était plus difficile. Ils ne pouvaient vivre dans les villages d’où ils avaient été déplacés et ils avaient besoin de permis pour se déplacer. Nous nous sentions de nouveau bénis et chanceux. Mais c’est vrai qu’il n’y avait pas de contact avec les Israéliens. Nous entendions leurs chants et leurs danses au-delà des murs, et des nouvelles nous arrivaient par le personnel de l’ONU. Il y avait deux Jérusalem séparées par des murs mais surtout par le manque de volonté de résoudre la question palestinienne avec justice et tolérance.
Grâce à ma famille, ces deux périodes m’ont convaincue que nous ne pouvons perdre l’espérance et que chaque épreuve nous rend plus fort, et plus déterminé. Nous Arméniens, nous avions appris que l’être humain peut être totalement inhumain et qu’il n’y a pas de guerre juste. Au début de la Shoah, Hitler avait osé dire qu’il se souvenait du génocide arménien. 103 ans après, les Turcs continuent à le nier. De mes parents, j’ai appris à ne pas perdre la foi et la spiritualité qui donne à chaque être le droit de vivre avec dignité, et également à servir sa communauté par des travaux bénévoles en aidant les moins privilégiés (services sociaux, médicaux pour les handicapés ainsi que l’aide à travers les institutions religieuses et la société civile). En somme, aimer son prochain et faire la volonté de Dieu.
Durant cette période jordanienne, j’ai fréquenté une école catholique fondée par deux frères juifs convertis, Théodore et Alphonse Ratisbonne. Notre-Dame-de-Sion, dans la forteresse Antonia sur la Via Dolorosa à Jérusalem, regroupait des élèves de toute nationalité, mais parmi eux aucun juif – Jérusalem étant divisée sous deux gouvernements différents . Beaucoup d’étudiantes venaient des pays arabes, comme pensionnaires, et les relations entre chrétiennes et musulmanes étaient solides et saines. Les Sœurs de Sion avaient offert des soins médicaux et un refuge aux Arabes du quartier. Possédant un couvent à Ein Karem, les Soeurs exerçaient entre les deux parties de la ville, mais nous à Jérusalem-Est, nous n’y avions pas accès. C’était la période où les pays arabes commençaient à ressentir le désir d’indépendance et où l’on pouvait remarquer le progrès du féminisme dans les mouvements palestiniens. Les années passées à Notre-Dame-de-Sion ont approfondit ma compréhension des êtres humains et m’ont encouragée à questionner ou à accepter ce qui apparaissait comme être la vérité ou la justice absolue, de même que les fausses notions de terre promise et de peuple élu.
La phase suivante, qui remonte déjà à 51 ans, est peut-être la plus longue et la plus pénible en ce qui concerne la Palestine et Israël. A la suite de la quasi Guerre de Six jours de juin 1967, que de réactions bien diverses ! Bien-sûr, il s’agissait d’une grande conquête pour Israël avec le retour à Jérusalem : une prophétie enfin achevée ? Mais pour les Palestiniens et le monde arabe, ce fut une défaite terrible et la perte du reste de la Palestine historique. Une nouvelle catastrophe, la continuation de la dépossession de la Nakba de 1948, une tragédie avec de nouveaux réfugiés et un avenir inconnu, plus sombre que jamais. Il y-a-il une lueur d’espoir ? Qu’est-ce que cela signifiait pour les habitants de Jérusalem ? Pourraient-ils enfin rentrer chez eux et en appeler au respect de leurs droits légitimes ? Pour moi, jeune mariée, avec mon époux, nous devions prendre des décisions car les actions de l’envahisseur ne promettaient pas une vie paisible et le monde n’agissait pas assez vite. Émigrer au Canada ou rester de pied ferme dans notre ville ?
Cinq mois après la guerre, le Conseil de sécurité, l’organe exécutif de l’ONU, a exigé « le retrait des forces armées israéliennes de territoires occupés lors du récent conflit et la fin de toute revendication ou tout état de belligérance », comme le stipule la résolution 242 approuvée à l’unanimité, suite à l’invasion de Jérusalem-Est et de la Cisjordanie. Le Conseil de sécurité, dont la mission est de maintenir la paix et la sécurité internationale conformément aux buts et principes qui avaient été votés pour la partition (résolution 181) et l’établissement de l’État d’Israël, osait hausser la voix une fois de plus. Soutenus par les Chrétiens sionistes occidentaux qui voient dans tout cela la main de Dieu, les envahisseurs (comme les nomme l’historien israélien Ilan Pappé) ont exécuté leurs plans bien étudiés de contrôle, et cela, malgré les voix opposantes et faibles qui sont restées sans effets sur les caprices de l’enfant vainqueur qui viole tous les droits et les protocoles.
Les conquérants ont rapidement détruit le quartier maghrébin et chassé les familles vers Shuafat au nord de la ville pour dégager le mur occidental du 2e temple juif détruit en 70. C’est le rêve de chaque juif du monde entier !
Alors les arrestations ont commencé, mais aussi les démolitions de maisons, le couvre-feu et enfin le consensus des habitants de Jérusalem. Tous les étudiants et les voyageurs qui étaient hors de la ville n’ont pas eu le droit de revenir et des cars sont allés en porter de force vers la Jordanie. Un nouvel exode. Les murs physiques n’existaient plus à la porte Neuve ou à la porte de Damas et les habitants de Jérusalem, réfugiés de l’Ouest vont visiter leurs propriétés occupées depuis 1948. Beaucoup ont été mis à la porte et quelques-unes de nos connaissances sont mortes d’une crise cardiaque.
Nous les Jerusalémites, nous avons reçu une carte d’identité bleue qui mentionnait que nous étions de facto des résidents permanents, non des citoyens Israéliens et surtout pas avec une nationalité juive. Les Arabes d’Israël nous rappellent qu’eux, citoyens d’Israël, ne jouissent toujours pas de l’égalité des droits. C’est d’autant plus vrai depuis l’adoption de la loi Israël, État-nation du peuple juif en juillet 2018. Ils font face au même danger que nous les Palestiniens de la Cisjordanie et de Jérusalem.
La carte d’identité bleue ne nous protège pas contre l’exil, la séparation des familles ou l’emprisonnement. Voyons la réalité en face, le shekel est devenu notre monnaie et nous devons payer toute sorte d’impôts (même pour les balles qui tuent nos enfants). En revanche nous, à Jérusalem, nous pouvons recevoir une assurance médicale et sociale (sous la forme d’une aide financière pour les enfants de moins de 16 ans), mais le prix que nous payons est d’être réduits à voir l’environnement détruit, les colonies envahir nos terres et nous pousser à quitter le pays ou nous tourner vers une résistance parfois violente. (Selon Avi Shlaim, historien israélien résident en Angleterre, la résistance violente des palestiniens ne représente que 3% de leur lutte depuis plus d’un siècle).
Petit à petit, nous arrivons à comprendre que depuis son établissement, l’État d’Israël n’a jamais envisagé de traiter les autres comme des égaux.
Le 29 Novembre dernier, c’était la journée internationale de solidarité avec le peuple palestinien qui fait aussi mémoire de la résolution 181, qui est à la base de la partition, adoptée le 29 novembre 1947. Je laisse de côté les détails affreux que vous connaissez tous et que vous voyez régulièrement à la télévision : arrestations de dignitaires, emprisonnements administratifs sans procès (8 000 prisonniers dont plus de 230 enfants), intrusion dans les maisons durant la nuit pour arrêter même des gosses de 8 ans ou moins, fermetures d’écoles et d’institutions, refus d’événements culturels à Jérusalem même pour un lancement de livre ou une conférence… et la liste est encore longue !
Le fait de se réveiller le matin et de partir au travail est une sorte d’affirmation et de résistance face à ce régime d’occupation et d’oppression. La détermination de rester ferme (somoude) et d’essayer de voir clairement notre rôle dans Jérusalem-Est jusqu’au jour ou enfin une solution vaincra le chaos.
Le jour où j’ai du me précipiter à la maison après la naissance de ma fille en Octobre 1973, car une autre guerre avait éclatée, je me suis souvenu des sentiments ressentis par ma mère lors de ma naissance en 1947. Quel sera l’avenir ? En 2006, mon petit-fils Carlos a subi le même sort. L’histoire se répétè!
Durant toutes ces années je me suis posé cette question : pourquoi nous Palestiniens, ne sommes-nous pas reconnus comme un peuple avec toute notre héritage, notre culture, notre éducation et notre contribution à la construction du monde arabe ? Les pourparlers et négociations depuis 1991 n’ont abouti à rien. Notre main tendue vers la paix, dès 1988, a été mordue et rejetée. Je m’étais engagée à l’éducation des jeunes filles au YWCA et dans les camps de réfugiés, ma responsabilité était de les aider à reconnaitre leur valeur et trouver leur place dans une société patriarcale, mais aussi en dépit de l’occupation qui les humiliait à tout instant. Faisant partie de mouvements internationaux, c’était une chance de travailler avec 150 institutions féministes pour agir auprès de ceux qui avaient déjà combattu, avec succès, contre le racisme et les discriminations.
J’ai perdu des élèves, tués par balles à Jalazoun et Qalandia. J’ai pris part à des manifestations qui commençaient non-violemment et que les soldats israéliens à cheval rendaient intolérables. Le fait que les Palestiniens réalisent que que la fin de l’occupation de Jérusalem ne viendrait pas sans unité et résistance, sous toutes les formes permises légalement, renforça les relations entre les Palestiniens de la société civile, quelques groupes activistes internationaux et même des Israéliens y prirent part.
Je dois préciser que chaque initiative n’avait pas le même but. Pour pouvoir travailler à un objectif commun, il fallait se reconnaitre comme des êtres humains avec des droits égaux. Beaucoup d’organisations ont essayé de rapprocher les opprimés et les oppresseurs dans des camps et des colonies de vacances mixtes à l’étranger, mais très peu de ces relations ont continué à se développer. Même quand nous étions invitées, nous palestiniennes à faire une tournée dans les capitales européennes avec des israéliennes (et j’ai pris part à plusieurs tournées dans les pays scandinaves), le contact n’existait plus au retour dans le pays !
C’est un phénomène que même mes parents ont vécu avec leurs vieux voisins avec qui ils avaient habité le même quartier avant 1948. Aujourd’hui, le juif palestinien est un vainqueur Israélien et très peu de ces anciennes amitiés ou connaissances ont perduré jusqu’à la mort.
Pour moi une entente ou un projet qui ne reposait pas sur une garantie de respect mutuel et où le droit des Palestiniens n’était pas clairement accepté, ne valait aucune peine.
C’est en travaillant pendant 47 ans, au sein de la société civile, que j’ai découvert plusieurs raisons importantes permettant de comprendre l’absence de paix en Palestine et Israël :
1. La culpabilité du monde pour la Shoah en Europe, que les Juifs et Israël ne manquent pas de rappeler, et la peur d’être comme considéré comme antisémite dans le cas où on osait critiquer les actions injustes de l’État d’Israël
2. L’incapacité de la communauté internationale à faire appliquer les lois et les conventions internationales relatives à Israël
3. Le rôle contradictoire des religions et l’abus de la sainte bible pour légitimer un État politique séculaire et colonialiste.
D’où la décision d’accepter de me joindre au Centre de théologie de la libération de Sabeel et de travailler pendant 17 ans à aider l’Église locale et universelle à lever une voix prophétique et oser dire la vérité ! J’ai travaillé depuis Jérusalem à lier les communautés de la Cisjordanie/Israël et même du Golan et à rehausser le statut de l’être humain.
L’un des projets de Sabeel fut celui des 14 stations de la voie douloureuse des Palestiniens, conçues en parallèle des stations de la Semaine sainte que Jésus-Christ a vécu. Nous vivons notre « croix », notre souffrance, qui commence avec la Nakba et continue avec les réfugiés, l’occupation, l’humiliation aux postes de contrôle, les colonies, les problèmes de ravitaillement en eau. Jérusalem, le centre de la mort et de la résurrection. Nous avons trouvé un soutien dans la solidarité dont font preuve des groupes comme le IMS, l’EAPPI (Ecumenical Accompaniment Programme in Palestine and Israel) et ouvriers de paix pour une justice avec compassion.
Le dernier poste que j’ai occupé avant ma retraite fut avec Kairos-Palestine, le mouvement lancé par un document « Un Moment de Vérité » publié en 2009. Quinze Palestiniens chrétiens ont lancé un appel au monde chrétien, musulman et juif, une parole de foi, d’espérance et d’amour venant du cœur de la souffrance palestinienne, inspiré par le document Kairos de l’Afrique du sud (1985)qui a poussé a la fin du régime de l’Apartheid. Le document palestinien s’est transformé en mouvement international ! Quand on décrit sans détour que l’occupation militaire israélienne comme un mal/péché contre Dieu et l’humanité, la réaction ne peut être que « Ne rendez pas mal pour mal, insulte pour insulte, bénissez au contraire, car c’est à cela que vous êtes appelés, afin d’hériter la bénédiction ». (1 P 3, 9)
Kairos défend que « toute théologie qui prétend justifier l’occupation Israélienne en se basant sur les Écritures, la foi ou l’histoire est bien loin des enseignements chrétiens, car elle appelle à la violence et à la guerre sainte au nom de Dieu, le soumettant à des intérêts humains du “moment présent” et déformant son image dans les êtres humains qui subissent une injustice politique et théologique ». Pendant cinq ans, avant ma retraite, j’ai travaillé pour une justice globale, et non seulement pour les Palestiniens, en formant des groupes partout dans le monde ou opprimés résistent aux oppresseurs.
Un soutien est né autour du mouvement y compris de la part de musulmans et de juifs. En joignant nos forces avec la société civile, d’abord palestinienne puis avec les êtres consciencieux en Israël et à l’étranger, soit juif ou militants internationaux, nous avons pu élargir le cercle des êtres humains engagés à mettre fin à l’injustice.
Cette mission est une tâche laborieuse. surtout après les récentes mesures d’Israël contre les lieux religieux (l’Esplanade des Mosquées et Al-Aqsa, le Saint Sépulcre), les attaques de colons « Price Tag » à Nabi Saleh et la jeune Ahed Tamimi, la volonté de détruire le village bédouin de Khan al-Ahmar et l’ordre d’expulsion de 700 personnes de Silwan. Nous devons admettre qu’Israël n’a jamais eu l’intention de respecter les lois internationales ou d’accepter la présence d’un autre peuple en Palestine/Israël.
L’exemple de la réquisition des terres des Églises, y compris de l’Église catholique, est la preuve que le danger est bien réel. Nous devons combattre le mal ensemble.
Nous sommes là et nous ne quitterons pas notre terre, mais nous avons besoin de vous tous et de votre action auprès de vos gouvernements et institutions pour avoir le courage :
- D’adopter le BDS et surtout le Boycott et Désinvestissement avant que les sanctions des gouvernements arrivent. Nous appelons à cette forme de résistance juste au nom de l’amour, car c’est une invitation pour l’État injuste d’Israël au retour à la moralité du Judaïsme, afin qu’il soit de nouveau parmi la communauté et la famille globale
- Pour ceux qui travaillent, en Palestine/Israël, ensemble comme une famille, pour briser le silence, et pour tout autre mouvement populaire et institution laïque ou religieuse de continuer à oser dire la vérité
- Pour La France et les autres pays qui n’ont toujours pas reconnu l’État de la Palestine de le faire aujourd’hui
- De poursuivre les crimes contre les enfants palestiniens, l’environnement, l’eau et la terre devant les tribunaux internationaux
- D’être des artisans de vraie paix et refuser ouvertement les plans de Trump ou d’autres pour Jérusalem afin que Jérusalem conserve son statut de ville ouverte pour une paix durable.
C’est à ces conditions que la loi internationale et les Écritures sacrées des religions monothéistes vivront la prophétie d’Isaïe : « Il arrivera, à la fin des jours, que la montagne de la maison de l’Éternel sera établie au sommet des montagnes et élevée au-dessus des collines (…) Ils briseront leurs epees pour en faire des socs et leurs lances pour en faire des serpes. On ne lèvera plus l’épée nation contre nation, on n’apprendra plus a faire la guerre. » (Is 2, 2-5)
Si l’injustice continue en Palestine/Israël, il n’aura pas de paix.
Nora Carmi
Image : Colombe de la paix (CC0)