
Suheir Farraj pose chez elle devant le portrait de son fils emprisonné en Israël depuis deux ans (photo © Elodie Perriot/Secours Catholique).
Suheir Farraj est la directrice de l’association palestinienne Femmes, médias et développement (TAM en arabe). Elle est en France dans le cadre de la Campagne d’action internationale (CAI) du Secours Catholique afin de témoigner de la réalité de son pays. Zoom sur une femme qui mise sur la vidéo pour promouvoir la paix.
Quel est le rôle de votre association en Palestine ?
Nous travaillons à la responsabilisation des femmes et à l’amélioration de leurs compétences. Nous utilisons les médias comme outil de transformation afin de les rendre actrices de leur propre développement. Des formations leur sont proposées dans l’objectif de les faire accéder à des postes plus importants dans les médias que celui de secrétaire où elles sont encore assignées aujourd’hui.
Notre but est de changer le regard et faire tomber les préjugés. Nous intervenons auprès des femmes vulnérables : les bédouines, les victimes de violences conjugales, les personnes handicapées mentales, mais aussi avec les hommes sur les questions d’égalité homme-femme.
Quelle place ont les femmes dans la société palestinienne ?
Nous vivons dans une société conservatrice. Les femmes ont peu de liberté. Elles ne peuvent pas choisir leur mari et la plupart du travail qu’elles réalisent n’est pas reconnu comme tel. Par exemple, les femmes bédouines se lèvent à 3 heures du matin pour travailler dans les champs, nourrir les animaux, faire la lessive, s’occuper des enfants, etc. Et ce, jusqu’à 21 h.
Mais si l’on demande aux maris si les femmes travaillent, ces derniers répondent par la négative ! Elles ne sont pas reconnues comme des travailleuses. La vidéo est pour nous un moyen de les responsabiliser en leur faisant tourner des films sur leurs propres conditions de vie. Par ailleurs, cela les valorise et leur donne confiance en elles.
La vidéo peut donc être, selon vous, utilisée comme un outil thérapeutique ?
Bien sûr. L’année dernière, nous avons pour la première fois travaillé avec des groupes de femmes sortant des prisons israéliennes. Ces femmes ont beaucoup souffert des conditions de détention, de la violence perpétrée par les Israéliens mais aussi entre elles. En effet, certaines femmes se réclamaient du Hamas, d’autres du Fatah… Ennemies de fait, elles devaient cohabiter dans la même cellule.
Il y a donc tout un travail de réconciliation à réaliser. Aujourd’hui, elles se sont pardonné. Je pense que c’est en maintenant les gens dans la souffrance qu’on fabrique une bombe à retardement. Devant et derrière la caméra, les femmes libèrent leur parole et sont valorisées. Certaines d’entre elles développent une grande force mentale et décident de poursuivre leur formation dans les médias. D’autres ont même monté leur propre studio chez elles et filment les mariages, les fêtes, etc.
Enfin, il y a celles pour qui cette formation d’un an ne sera pas suffisante pour retrouver confiance en elles et qui auront besoin d’une aide plus individualisée. Dans ces cas, soit nous les orientons vers d’autres professionnels, soit nous les aidons directement. Par exemple, nous sommes intervenus auprès de la famille d’une jeune femme souffrant de problèmes psychologiques afin que ces derniers la soutiennent de la meilleure façon possible.
Où les films réalisés par les bénéficiaires sont-ils diffusés ?
Ils sont diffusés sur les chaînes locales et nationales. Mais surtout, nous organisons des projections publiques qui sont suivies de débats animés par les personnes qui ont réalisé le film, soit nos bénéficiaires.
Sont-ils également diffusés en Israël ?
Malheureusement non. Pour la simple raison que nous ne pouvons pas aller en Israël. Mon fils y est en prison depuis deux ans sans motif apparent. Mon mari et moi ne sommes pas autorisés à lui rendre visite. Seule ma jeune fille de 15 ans le peut car elle n’est pas considérée comme dangereuse pour la sécurité d’Israël.
Propos recueillis par Clémence Véran-Richard
Source : www.secours-catholique.org le 28 mai 2013