Mgr Philippe BRIZARD, ancien Directeur de l’Oeuvre d’Orient et membre du réseau Chrétiens de la Méditerranée
La fête de Pâques revêt la plus grande importance aussi bien pour les chrétiens en Occident que pour leurs frères orientaux, et pour les juifs. D’ailleurs les Pâques chrétiennes s’appuient sur la Pâque juive
Quand les calendriers concordent, l’animation que connaît Jérusalem les jours de fête est à son comble. Ces fêtes ont en commun d’être source de joie parce qu’elles célèbrent la libération de la servitude et une alliance de Dieu avec son peuple, qui constituent proprement le salut. Les perspectives ainsi ouvertes, toutes entières dues à l’amour miséricordieux du Seigneur, sont telles que, sans attendre les fins dernières, la vie en est, dès maintenant, profondément transformée.
Pâques se comprend en référence à l’évènement fondateur du peuple de Dieu: la libération des Hébreux de la servitude d’Egypte.”J’ai vu, dit le Seigneur, j’ai vu la misère de mon peuple “. Cette libération se fera à travers la mer Rouge et trouvera son accomplissement dans le désert par l’Alliance de sang que le Seigneur conclut avec son peuple en lui faisant don de la Loi. Alliance de sang veut dire alliance qui est partage de la vie (dont le sang est le principe), et communion. Cette Alliance due à l’amour et à l’initiative du Seigneur, est assortie d’une promesse: la Terre promise. La conclusion de cette alliance donnera lieu à une somptueuse célébration décrite dans le livre de l’Exode où le sang du sacrifice est par moitié versé sur l’autel tandis que l’autre moitié sert à l’aspersion du peuple. Le tout s’achèvera par un repas rituel de communion. En consommant la victime offerte au Seigneur, le peuple partage la vie du Seigneur. Le mémorial de cet évènement sera le seder pascal. Il faut noter que la Pâque juive donne lieu à un repas rituel pris à la maison sous la présidence du chef de la famille, tandis que le plus jeune demande l’explication de ce rite consistant essentiellement en la manducation de l’agneau pascal accompagné d’herbes amères qui rappellent le désert, et de pains azymes qui rappellent le départ à la hâte pour échapper à la vindicte de Pharaon. La fête de la Pâque est elle-même précédée d’une semaine dite des azymes, une préparation par la purification de tout ce qui sentirait la fermentation. Le ferment ou le levain est pris en mauvaise part, synonyme de mal et de mort. C’est l’occasion d’un grand ménage de la maison et d’une préparation personnelle. Il faut noter que la Pâque juive se célèbre essentiellement à la maison, ce qui n’empêchait pas de donner lieu à de grands rassemblements au Temple de Jérusalem, et aujourd’hui encore, dans la Vieille Ville, auprès du Mur occidental. La Pâque tombe le 14 du mois de Nisan, le mois de la lune de printemps.
Jésus lui-même célèbrera la Pâque avec ses disciples, spécialement avant son arrestation et sa passion. Ce sera son dernier repas avant de mourir. Avant d’en parler davantage, nous devons voir que, pour les chrétiens aussi, la fête de Pâques donne lieu à une longue préparation. Toute la semaine qui précède le dimanche de Pâques, la Semaine sainte, est célébration des évènements du salut, elle-même précédée du temps du Carême. Le carême (déformation du mot quarantaine) fait allusion aux 40 années au cours desquelles le peuple hébreu pérégrina dans le désert, fit l’expérience de la faim et de la soif et de la remise confiante dans la foi au Seigneur, avant d’atteindre la Terre promise. La Semaine sainte s’ouvre par le Dimanche des rameux ou des palmes, qui rappelle l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem: Jésus est reconnu par la foule comme le Messie. Sa mission messianique sera accomplie par sa passion, sa mort sur la croix, son ensevelissement et sa résurrection d’entre les morts.
Les évangiles rapportent que Jésus a voulu célébrer la Pâque avant de mourir. Le jeudi saint est le jour de l’institution de l’eucharistie. En s’appuyant sur le seder pascal, le Seigneur s’en écarte – comme le montre bien le pape Benoît XVI dans son livre qui vient de paraître -, et donne un sens nouveau aux rites. De la coupe d’action de grâce, il fait la coupe de son sang, le sang de la nouvelle alliance, et du pain azyme, son corps livré. Jésus est le nouvel agneau pascal qui sera offert en sacrifice pour la rédemption des péchés et le salut du monde. Par cette célébration anticipée, Jésus donne à ses disciples une clé de lecture de ce qui va se produire et qui est célébré les jours suivants. Les disciples ne comprendront qu’après coup mais feront de ce geste de Jésus le mémorial de la rédemption. Ce n’est plus d’une servitude seulement extérieure que le peuple des croyants est libéré, mais surtout de celle du péché et de la mort. Avec l’institution de l’eucharistie, Jésus a fait don du commandement nouveau de l’amour fraternel symbolisé par le lavement des pieds.
Le vendredi saint, les chrétiens célèbrent l’Office de la Passion, marqué par la lecture du récit selon l’évangile de saint Jean, l’adoration de la croix et les grandes prières d’intercession. Toute la célébration montre combien la passion du Christ est actuelle. A travers les souffrances de l’humanité, le Christ est dans sa passion jusqu’à la consommation des siècles. L’Eglise, qui est son corps, tout pareillement. La prière d’intercession concernant le peuple juif a donné lieu à bien des remaniements pour sortir de l’antisémitisme chrétien et reconnaître au peuple juif, peuple de l’Alliance, son statut de peuple de Dieu, du Dieu d’Israel qui l’aime d’un amour sans repentir et qui est fidèle à ses promesses. Ce jour-là, l’Eglise ne célèbre aucun sacrement, sauf celui du pardon. Il est seulement distribué la communion aux participants à l’Office de la Passion avec les espèces consacrées la veille. Tout s’achève dans la terreur de la mort du chef, mais avec l’espérance que la mort n’a pas englouti la vie. Sur la croix, le dialogue pathétique de Jésus avec sa mère, la nouvelle Eve, figure de l’humanité régénérée, l’Eglise, qui ne cesse pas d’engendrer, avec l’Esprit saint, des fils et des filles à Dieu le Père, montre que toute l’humanité souffre jusqu’à la fin des douleurs de l’enfantement, comme un combat où la vie l’emportera sur les puissances de la mort et de l’enfer. Ainsi s’accomplit ce qu’annonce le Protévangile de la Genèse: “le serpent te mordra au talon, et toi, tu lui écraseras la tête”. Une différence liturgique intéressante existe avec les Orientaux qui célèbrent, ce jour-là, l’ensevelissement du corps du Seigneur.
Il demeure que le samedi qui suit la mort de Jésus est jour de deuil. On dit même que l’Eglise est veuve, son époux, le Christ, étant au tombeau. Ainsi s’établit une sorte de communion avec tous ceux que le mal et la mort atteignent au point d’ôter tout espoir. C’est l’attente d’une vie nouvelle, qui ne vient ni de la terre, ni des hommes. C’est ce qui est célébré dans la sainte nuit de Pâques. Les ténèbres recouvrent la terre, mais on veille dans l’attente de la lumière qui vient, qui est le Verbe (la parole) et la Vie. Nul n’a été témoin de la résurrection, mais nous savons, par le témoignage de ceux qui l’ont vu, qui l’ont touché, qui ont mangé et bu avec lui, que Jésus est ressuscité. Par sa résurrection, Jésus reprend toute l’histoire du monde et la conduit à son achèvement dans la victoire sur le mal, dans le pardon des péchés, marque suprême de l’amour, et dans la rédemption. Nous avons été rachetés par celui qui nous a aimés jusqu’au bout. C’est au cours de cette nuit que nombre de baptêmes sont célébrés parce que, tous plongés dans la mort du Christ et dans la foi, nous avons part à sa résurrection. Désormais le Fils de Dieu qui s’est incarné et qui a vécu tous les aspects de la condition humaine, mort comprise, excepté le péché, nous entraîne par sa résurrection, à vivre de sa vie. Il ne sort pas de la condition d’homme; il entraîne l’homme à vivre de sa divinité. En ce sens, nous sommes fils et filles de Dieu. Le dimanche de Pâques est le premier jour d’une vie nouvelle, divino-humaine, le premier jour d’un monde nouveau. Par sa mort et sa résurrection, Jésus inaugure une création nouvelle où les puissances du mal et de la mort sont vaincues. Ce mystère de Pâques, de mort et de résurrection, nous le vivons avec le Christ, jour après jour. Notre espérance ne nous fait pas rêver d’une utopie car, ce que le Christ a vécu une fois pour toutes, est toujours actuel. Rien de ce qui est humain n’est étranger au salut qui vient.
“De cela, nous sommes témoins”. Il importe que le témoignage rendu au Christ ressuscité soit d’une seule voix. Les discordes entre chrétiens affaiblissent l’annonce de la Bonne Nouvelle dont est chargée l’Eglise. C’est pourquoi la volonté de retrouver l’unité dans la pleine communion apparaît comme une nécessité dans un monde dont on fait désormais vite le tour. Depuis au moins le P. Couturier, le mouvement d’unité, qu’on appelle mouvement œcuménique, devient une priorité dans les Eglises. Il est sûr que la fixation commune de la date de Pâques serait un signe fort d’union et renforcerait le témoignage. En effet, il est permis d’espérer: le concile de Nicée en 325, premier concile œcuménique, a donné des indications précises à suivre, en tenant compte des données scientifiques nouvelles qui ont conduit à la réforme du calendrier. Ainsi est-on passé, en 1582, du calendrier julien au calendrier grégorien en gommant 15 jours. Cette décision occidentale s’est imposée à tout le monde. Il convient donc aujourd’hui de dépasser les particularismes liturgiques sur ce point, qui n’ont plus grand sens. Quantité d’instances œcuméniques réclament la célébration de la fête de Pâques, comme l’indiquent les Ecritures, le premier dimanche suivant la première pleine lune après l’équinoxe de printemps – le jour de la pleine lune étant le jour de la Pâque juive -. L’occurrence entre les calendriers julien et grégorien fait que, en cette année 2011, Pâques est célébrée à la même date; ce sera encore le cas en 2014 et 2017; après quoi, si rien ne change, il faudra attendre 17 ans (2034), avant de pouvoir célébrer de nouveau Pâques à la même date. Or, “plus que jamais le monde a besoin d’un témoignage et d’une proclamation unifiés du noyau de notre foi commune: la Résurrection de Notre Seigneur” (Consultation théologique entre orthodoxes et catholiques d’Amérique du Nord, Université de Georgetown, Washington D.C., 1er octobre 2010). En attendant une décision commune, il faut noter qu’en Terre sainte notamment, les Autorités ecclésiastiques se mettent d’accord pour que la date de Pâques soit commune. Elle est fixée, dans chaque endroit, en fonction du calendrier de la communauté chrétienne la plus nombreuse.
Carême 2011-03-06
Mgr Philippe BRIZARD