Une société civile palestinienne vivant dans un contexte d’apartheid

Mur dans une rue de la veille ville d’Hébron.

Mur dans une rue de la veille ville d’Hébron.

Patrick et Hélène Gérault, membres actifs du réseau Chrétiens de la méditerranée, rentrent d’un voyage en Palestine. Ils livrent pour le site leurs impressions sur ce qu’ils ont vu et entendu.

Un séjour de 7 jours en Cisjordanie organisé par le journal Témoignage Chrétien a montré l’importance du rôle de la société civile palestinienne. Nous avons constaté que les rencontres de ces acteurs à Tulkarem, Naplouse, Ramallah, Jérusalem, Bethléem ou  Hébron sont porteuses d’espoir. Leur message d’espérance porte aussi celui de leur résistance pour obtenir le respect des droits élémentaires et vivre dans la paix.

La guerre de la terre est constante. Sur la route entre Naplouse et Jérusalem, les colonies poussent sans autorisation comme des champignons au sommet des collines mais les israéliens interdisent de leur côté les constructions des palestiniens à Jérusalem. Les Israéliens projettent une jonction entre les colonies de Jérusalem qui sont devenues des quartiers et celles de Cisjordanie desservies par des routes spécifiques aux israéliens. La planification de la métropole de Jérusalem incluant Ramallah et Bethléem est dans les cartons. Le projet de construire 3000 à 3500 logements face à la colonie  de Ma’ale Adumim , située à 7 km de Jérusalem Est,  met fin, semble –t-il, à l’existence de deux Etats. La Cisjordanie sera coupée définitivement, sans jonction possible, avec des routes sécurisées propres aux israéliens.  Ces routes entretiennent une situation d’Apartheid. Les palestiniens, quant à eux, doivent emprunter des routes spécifiques, mal entretenues, pour contourner la partie d’Israël en territoire occupé.

La guerre de l’eau continue. D’un côté, chez les palestiniens les coupures d’eau sont fréquentes mais  les  israéliens, eux, ne subissent jamais ces coupures. Dans les colonies, lac artificiel avec jet d’eau et  piscines, fleurs et arbres agrémentent insolemment le paysage.

La présence israélienne se fait sentir à chaque instant dans les territoires occupés même dans la zone A contrôlée par les Palestiniens. La nuit les soldats israéliens viennent contrôler les populations, par exemple dans le camp de réfugiés d’Aïda à Bethléem ou dans les villes sous autorité palestinienne comme Naplouse. Cette politique qui consiste à créer le sentiment d’être pourchassé en permanence par les soldats (comme à Hébron) est invivable et inacceptable. Une visite de la ville d’Hébron montre que la liberté de circulation des palestiniens est entravée par l’implantation des colonies à l’extérieur et à l’intérieur de la veille ville. L’accord de 1997 a permis à l’armée israélienne de maintenir sous contrôle militaire 20% de la ville d’Hébron (H2), les 80% restant étant placés sous administration palestinienne (H1). La zone H2, qui comprend le centre-ville dont le souk traditionnel, cristallise toutes les tensions par la présence des colons. Pour sécuriser les rues réservées aux 450 colons d’Hébron, plusieurs rues ont été fermées et donc interdites aux palestiniens .Plusieurs centaines de soldats sont postés en permanence pour protéger les colons. .

Le mur tout autour de la Cisjordanie empêche les Palestiniens de circuler librement, d’avoir accès aux terres qu’ils cultivaient  et de voir leurs  familles et  amis. Le mur « accapare les terres et rejette les hommes ». Le long du mur, des véhicules militaires  patrouillent  en permanence. Les actions non violentes menées par le comité populaire de résistance au mur, composé d’ouvriers, d’employés, de cadres et d’agriculteurs, ont pour but d’interpeller la société internationale sur la situation que vivent les palestiniens au quotidien, les conséquences économiques et sociales mais aussi sur la mainmise de l’eau et des terres agricoles.

Ce voyage a pointé du doigt l’importance d’écouter, d’entendre et de dialoguer avec les palestiniens pour mieux comprendre comment ils essaient de vivre dans la dignité  et de développer des activités économiques et artistiques comme par exemple la coopérative de femmes à Tulkarem et celle de commerce équitable à Bethléem,  des associations engagées dans la micro finance à Ramallah, le centre culturel Al Rowwad au camp de réfugiés d’Aida auprès des jeunes et l’association d’Echanges Culturels à Hébron qui développe le tourisme solidaire.

Dans ce quotidien difficile de l’apartheid, l’occupation et l’oppression, le rire, la joie et la fête sont malgré tout présents. A Naplouse,  le vendredi soir est très animé avec des embouteillages et cette jeunesse dans les cafés ou dans la rue comme si nous étions dans un quartier animé de Paris un samedi soir.

La culture Palestinienne est en ce moment à l’honneur. Pas une place dans les villes palestiniennes sans un panneau du jeune chanteur de Gaza de 23 ans, Mohammad Assaf. Il est devenu « l’idole de tout un peuple et de sa cause », grâce à sa victoire le samedi 22 juin au concours de télé-crochet arabe, « Arab Idol ». Ce jeune chanteur montre une image positive des Palestiniens mais il incarne aussi la résistance palestinienne à l’occupation et l’oppression israélienne.

En Israël, des militants agissent pour la paix par exemple avec l’action des anciens militaires israéliens au sein de l’association  « Briseurs de silence » qui parlent de l’occupation. Ces anciens combattants de Tsahal « traumatisés par ce qu’ils ont été amenés à faire durant leur service dans les territoires occupés en particulier à Hébron, ont décidé de briser leur silence et de témoigner ». Ils racontent « leur intolérable comportement » à l’égard des populations palestiniennes à partir de livres témoignages et d’une exposition de photos prises par les soldats dans l’exercice de leur fonction dans des villes israéliennes comme Tel Aviv.

Par contre le « mouvement de la paix en Israël s’est effondré » dit Michel Warschawski. Il y a encore des militants pour la paix mais ils ne pèsent plus sur la vie politique israélienne. Leur action n’a plus la même résonnance dans l’opinion publique que dans les années 90 à cause du mensonge d’Ehud Barak à Camp David à la mi-août 2000. « L’envoyé spécial de Clinton a dit ouvertement qu’Ehud Barak avait saboté le sommet » et pourtant « Il avait été élu par le mouvement de la paix, par la majorité israélienne favorable à une solution pour mettre fin à l’occupation et il a fait exactement le contraire. Le mouvement de la paix ne s’en est pas encore remis à ce jour ».

Colonie  de Ma’ale Adumim.

Colonie de Ma’ale Adumim.

De leur côté, les chrétiens palestiniens se mobilisent face au processus de paix qui n’avance pas depuis plus de 10 ans. Ils ont lancé en 2009 un appel aux chrétiens, aux musulmans et aux juifs, comme aux responsables religieux et politiques du monde entier, à la société locale et internationale pour plus de justice en Palestine et en Israël. Le document « Kairos Palestine » intitulé « un moment de vérité », signé par tous les chefs d’Eglise de Jérusalem, est « une approche chrétienne pour l’avenir » indique Nora Carmi le 1 juin à Paris (coordinatrice du projet Kairos à l’international).

« L’injustice est un mal, l’occupation est un péché contre Dieu…la résistance non violente est la seule lutte possible contre le mal et le désespoir » indique Jamal Khader (doyen de la Faculté de Lettres de l’Université de Bethléem et un des rédacteurs du Kairos). Il rappelle que « la résolution du conflit est politique et non religieuse… La Palestine est une démocratie sans liberté car c’est Israël qui décide de la tenue des élections ».

« Le Kairos est un appel sincère, un cri, une parole de foi, d’espérance et d’amour venant du cœur de la souffrance palestinienne, qui n’apporte sûrement pas de solution à tous les problèmes de la région » précise Nora Carmi.  Cette démarche de résistance non-violente a déjà rencontré un certain écho en Palestine et dans le monde.

Alors, y a-t-il des raisons de croire en un avenir meilleur lorsqu’ on ne voit aucune issue au conflit israélo-palestinien ? En écoutant les témoignages de nos interlocuteurs, la solution de deux Etats semble de plus en plus difficile  voire « une illusion »  car le nombre de colonies  a triplé depuis les accords d’Oslo.

L’autre alternative, celle d’un état binational où tout le monde pourra vivre ensemble de façon démocratique avec les 3 religions, est encore loin de poindre à l’horizon. Les réticences du côté Israélien sont sur l’exigence d’un Etat juif (une patrie juive) et la démographie inquiétante des musulmans.

Il semblerait qu’actuellement les réflexions se situent entre les deux solutions. Pour nos interlocuteurs, il est difficile de savoir ce qu’il faut faire  pour avancer.

Alors, l’avenir d’une paix à construire est sûrement entre les mains de la société civile en Israël comme en Palestine. Mais cela ne suffira pas s’il n’y a pas en parallèle une mobilisation de la société civile internationale pour agir auprès des gouvernements en Europe et aux Etats Unis afin de demander le respect du droit international.

Quand nous voyons, dans une situation désespérée, des palestiniens et israéliens  s’engager dans des actions et des projets qui favorisent le développement et le vivre ensemble, nous avons des raisons d’espérer.

A nous maintenant de porter ces espérances en tant qu’acteurs de paix en favorisant les visites en Palestine pour rencontrer et encourager les « pierres vivantes ». Ces voyages seront le signe le plus significatif de la reconnaissance d’un peuple courageux et déterminé de continuer à vivre dans la dignité humaine malgré l’enfermement, la destruction et l’absence à ce jour de perspectives d’avenir.

Oui, nous avons un rôle à jouer en apportant notre pierre à la construction de la justice et de la paix dans cette région.

 

Hélène et Patrick Gérault

Le 26 juin 2013