Xavier Godard – Les relations économiques euro-méditerranéennes, quels enjeux ?

Regard sur l’Europe et la Méditerranée – 7 – par Xavier Godard.

Aux côtés des échanges culturels, des tentatives de coopération politique entre pays méditerranéens, de la régulation des migrations,  les pays sont  liés et déterminés par leurs échanges économiques façonnant leurs relations. On sait que la structure de ces échanges est polarisée par les relations nord-sud (déséquilibrés en terme de valeur ajoutée au profit de l’UE) alors que les échanges des pays du sud (Maghreb) entre eux sont faibles. La fermeture de la frontière entre le Maroc et l’Algérie depuis 1994 en est un symbole troublant.

L’Union Européenne mène une politique de proximité avec les pays tiers, qui se traduit par des accords économiques et des aides modestes appuyant des transitions démocratiques. Les actions vers la Méditerranée, qui ont sans doute été polarisées par les négociations avec la Turquie pour une éventuelle adhésion, sont une sorte de pendant de celles tournées vers l’Europe de l’Est mais la dissymétrie des moyens à l’est et au sud par rapport aux enjeux est un débat depuis la chute du mur de Berlin, et sans doute un sujet d’incompréhension entre l’Allemagne et la France.

La première grande initiative, qui sert toujours de référence aux actions, est la conférence de Barcelone en 1995 qui réunissait l’UE et 10 pays du sud. Un secrétariat y est installé depuis pour initier et gérer les programmes de coopération. Parmi les retombées peu connues, on peut citer les investissements financés par la BEI (Banque européenne d’investissement, 2 Md € par an) ou l’existence fragile du Plan Bleu, organe de coopération associé au PNUE et porté par la France et l’UE auquel adhèrent la plupart des pays méditerranéens, menant des études et initiant des programmes d’action en faveur de l’environnement en Méditerranée, très menacé par la pollution et le réchauffement climatique. Mais ce sont surtout des accords entre l’UE et chaque pays du sud qui s’inscrivent dans ce processus euro-méditerranéen; accords d’association (Tunisie, Maroc, 1995) ou ensuite négociation d’accords de libre-échange (Maroc, démarrage de négociation en 2013, Tunisie démarrage en 2016), accords sectoriels, à l’exemple de la pêche et de l’agriculture avec le Maroc.

Ce qui est en débat est le modèle économique servant de toile de fond à ces échanges : économie de marché, faible régulation, libre concurrence… aboutissent aux accords de libre-échange sans réelle régulation de l’économie, dans un contexte de mondialisation des échanges de plus en plus contestée si elle n’est pas accompagnée de protections sociales adéquates. Et surtout certains dénoncent à juste titre la contradiction qu’il y a à vouloir la libre circulation des marchandises sans celle des personnes. Sans aller à des positions extrêmes, ce qui est en jeu est bien d’introduire des politiques économiques concertées et convergentes tournées vers la résolution des problèmes du développement durable et du changement climatique, et notamment de l’énergie. Bien que mal partagées (contraste Algérie/Maroc) les ressources pétrolières et gazières sont une des clefs des relations euro-méditerranéennes, potentiellement relayées par des projets d’énergie solaire, tels que le méga-projet Desertec promu par des entreprises allemandes mais très controversé : installation de panneaux solaires à grande échelle dans le Sahara pour alimenter l’Europe en électricité…

Ces accords économiques de l’UE imposent des mesures de libéralisation de l’économie et peuvent être soumis à des contentieux internationaux. Ainsi deux problèmes de « colonisation » limitent, dans des formes différentes, les accords de coopération : l’occupation et la colonisation des territoires palestiniens par Israël sont des sujets de tension freinant l’application des accords économiques, avec des échanges très développés malgré tout. Le conflit du Sahara occidental que le Maroc considère comme faisant partie de son territoire a abouti au gel momentané de l’accord avec le Maroc sur l’agriculture, ainsi que des négociations sur l’accord sur la pêche, en raison de l’arrêt de la Cour de Justice de l’UE en 2016, suite à la saisie de cette cour par le Polisario.

On ne peut éviter d’évoquer la montée en puissance en Méditerranée de la Chine qui n’a pas les mêmes scrupules que l’UE pour des échanges économiques avec des pays dont les dirigeants bafouent les droits de l’homme ou les exigences démocratiques. Mais l’UE est contrainte de s’accorder avec le climat répressif des libertés en Égypte, pays dont l’économie est en fait plus tournée vers l’Arabie et les pays du golfe. Un des enjeux aussi des recompositions en cours sera cette présence chinoise plus active en Méditerranée, du nord mais aussi du sud, avec les fameuses Routes de la Soie (le port de Tanger pourrait être inséré dans ce vaste projet). Un exemple récent de l’influence chinoise est fourni par l’Algérie qui a recouru fortement à des entreprises chinoises pour construire nombre d’infrastructures : routes, logements, équipements divers… mais avec un effet très faible sur l’emploi algérien de sorte que la crise actuelle algérienne peut être vue comme la limite d’un modèle de développement non inclusif. Il appartient à l’Europe de proposer de s’inscrire dans un modèle de développement réellement inclusif… ce qui est vrai tout autant pour les pays européens eux-mêmes!

Mais on sait qu’un autre enjeu des relations avec les pays du sud de la Méditerranée vient de ce qu’ils sont une charnière avec l’Afrique subsaharienne, en fait les enjeux s’étendent au type de développement qui peut être promu en termes de coopération avec les pays sub-sahariens dont la forte croissance démographique des années futures est mise en exergue par de nombreux observateurs soit comme une menace (migratoire) soit comme une opportunité (grand marché de consommation en expansion). Ce qui peut se dessiner est un schéma de coopération triangulaire UE/Afrique du nord/Afrique sub-saharienne. Mais en l’absence d’une intégration (faiblesse de la Ligue Arabe, échec de l’Union pour la Méditerranée) cette coopération transiterait pour un temps long par chaque pays, le Maroc ayant d’ailleurs pris les devants en se positionnant en acteur majeur vers l’Afrique de l’ouest et plus largement sur l’ensemble du continent africain en ayant réintégré l’Union Africaine depuis 2016.

Finalement comment mettre du contenu dans le mot partenariat entre l’UE et les pays méditerranéens plutôt que dans celui de libre échange ?

Xavier Godard

 

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Illustration : CC0 Domaine public